Les Polonais sont inquiets. 19 violations de leur espace aérien ont été répertoriées dans la nuit du 9 au 10 septembre, poussant le Premier ministre Donald Tusk à invoquer l’article 4 de l’OTAN, ouvrant à une consultation avec les autres membres de l’alliance.
De leur côté, les Russes, suspectés, ont expliqué qu’ils avaient attaqué les entreprises militaires ukrainiennes dans les régions d’Ivano-Frankovsk, Khmelnitsky et Jitomir cette nuit-là et qu’aucun objectif visé ne se trouvait en Pologne. Ils se sont dit prêts à s’entretenir avec les Polonais sur ce sujet. Pour un certain nombre d’experts qui ont publié une tribune dans le journal « Le Monde », « ce n’est pas un « incident ». C’est un test délibéré des défenses européennes et un avertissement glacial. »
Je cite ces experts. « L’ampleur de cette intrusion ne doit rien au hasard. Depuis juillet, des cartes SIM polonaises et lituaniennes équipent les drones russes abattus en Ukraine. Cette découverte révèle une préparation méthodique. Moscou programme ses engins pour se connecter aux réseaux de télécommunications européens, transformant chaque drone en capteur d’informations : identification des installations de défense et des stations radar utilisées, analyse des protocoles et du temps de réaction des forces de défense aérienne européennes. Le Kremlin ne se contente plus de frapper l’Ukraine : il cartographie nos vulnérabilités. »
Là où on peut s’étonner, c’est que l’étendue de leurs connaissances semble supérieure à celles des Américains qui, on l’a entendu par la bouche du secrétaire d’État Marco Rubio, doutent encore du caractère intentionnel de l’attaque. Je cite encore cette tribune : « L’absence d’explosifs sur plusieurs de ces drones confirme l’hypothèse d’une mission de reconnaissance. Coïncidant avec les exercices militaires russo-biélorusses « Zapad 2025 », cette opération s’inscrit dans une stratégie d’intimidation progressive. Poutine teste notre seuil de tolérance à trois jours de manœuvres qui simulent précisément ce type d’agression et dont le nom seul est significatif : « Zapad », c’est « l’ouest » ! » Conclusion de ces experts : il faut protéger l’Ukraine en établissant un bouclier antiaérien sur le pays et, en gros, se rapprocher encore davantage de la Troisième Guerre mondiale.
Alors. Les Russes sont-ils en train de tester l’OTAN, l’Europe, Trump, leurs relations avec l’Amérique, tout cela à la fois ? Sommes-nous à la veille d’une escalade majeure dans le conflit ? Il est clair que les attaques aériennes sur l’Ukraine se sont intensifiées ces dernières semaines, mais comme le disent les Russes, elles ne visent aujourd’hui que des installations militaires ou des industries de défense. La production nationale ukrainienne en armement s’est considérablement développée à mesure que la guerre avance. Un drone russe a ensuite été signalé comme ayant franchi l’espace aérien roumain, provoquant une vive réaction des autorités de Bucarest. Ce n’est toutefois pas la première fois qu’un drone russe pénètre dans l’espace aérien roumain. Celui-ci est finalement retourné pour frapper l’Ukraine après l’incursion en Roumanie. « La Roumanie condamne le comportement de la Russie et prend les mesures nécessaires pour protéger sa souveraineté et sa sécurité », a indiqué le ministre roumain des Affaires étrangères, Toiu Oana, sur X. Et l’Otan de renforcer la défense du flanc oriental de l’Europe alors que les États-Unis se sont engagés à défendre « chaque centimètre carré » de leur allié. L’opération « Sentinelle orientale » a été lancée après l’incursion des drones en Pologne.
Tout cela ne fait pas pour autant une Troisième Guerre mondiale. Pour ce qui concerne la France, Emmanuel Macron a annoncé vendredi l’envoi de trois Rafale pour « contribuer à la protection de l’espace aérien polonais ». Et là c’est intéressant parce que le 8 mars 2022, au début de la guerre en Ukraine, pour Le Figaro Magazine, j’avais embarqué à bord d’un Boeing C-135 de l’armée de l’air pour la Pologne. Pendant environ huit heures, nous avions ravitaillé deux Rafale en provenance de la base aérienne 118 de Mont-de-Marsan, et qui assuraient la surveillance de l’espace aérien polonais face à la Biélorussie à l’est et Kaliningrad au nord. J’ai posé la question au général Bruno Clermont via mon compte LinkedIn : « Qu’est-ce qui diffère dans l’annonce d’Emmanuel Macron hier par rapport à ce genre de missions qui, en dehors des tensions et du caractère exceptionnel du moment, nous avaient été décrites comme classiques pour les aviateurs français ? On rajoute un Rafale, c’est tout ? ».
« La difficulté « technique », m’a-t-il répondu, reste l’interception de drones lents pas faciles à détecter avec de faibles signatures thermiques et radar. Et surtout sans un armement “low cost” adapté… Ça c’est la vraie nouveauté ! On est autant dans la gesticulation politique que militaire. Autre différence par rapport à 2022 où les Rafale opéraient à partir de la France avec ravitaillement en vol : cette fois-ci, ils sont déployés en Pologne. Cela renforce le « signalement stratégique ». Et augmente de facto la capacité d’interception. »
Je lui ai aussi demandé si on avait un armement adapté contre ces drones ? En d’autres termes, est-ce qu’on va utiliser des missiles Mica (600 000 euros l’unité) contre des appareils qui coûtent vingt fois moins cher ? Rappelons que pour abattre les drones ayant pénétré dans l’espace aérien polonais, les avions de l’OTAN ont utilisé des missiles très couteux…
« La réponse est non. Elle concerne tous les chasseurs du monde. Cet armement reste à concevoir. L’autre « trou dans la raquette » est l’incapacité des systèmes high-tech high-cost comme les Patriot ou les S400 à intercepter ces objets saturants et lancés en « meute ». Bref, la guerre en Ukraine nous oblige à repenser la guerre. Dans tous les domaines. L’ahurissant défilé militaire chinois à Pékin encore plus. La guerre devient à la fois low-tech et high-tech dans des domaines élargis à l’espace, le cyber et l’information… »
Conclusion : si les Russes ont agi de manière intentionnelle, ils l’ont fait à mon sens autant pour tester nos réactions. Ils ont entamé trois jours après l’après des drones en Pologne les exercices « Zapad 2025 ». Lorsqu’on écoute les Américains, les réactions des alliés sont loin d’être unanimes. Ils l’ont fait aussi peut-être pour faire planer le doute sur leurs intentions réelles et sans doute aussi pour répondre quelque part aux Européens. Après tout, de notre côté, notre président parle sans cesse d’envoyer des troupes en Ukraine, ce que les Russes considèrent comme un « casus belli ». Cela suffit cependant à nous faire prendre conscience que, si les Russes sont en guerre depuis trois ans et demi, nous ne l’avons pas été depuis fort longtemps et qu’il s’agirait de se réveiller sur la question de notre défense. Interrogé par le magazine Challenge, le général Pierre de Villiers, ex-CEMA, avertissait : « La France est désarmée et la guerre arrive. »
Voir aussi : Drones russes en pologne et en roumanie : incident ou escalade ?