En Afrique, le message illisible d’une France dépassée par l’enjeu

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Qu’est venu faire Emmanuel Macron en Afrique ? Le but théorique du déplacement est le sommet sur la préservation des forêts du bassin du Congo, soit le premier poumon de la planète selon l’Élysée. Coorganisé par la France et le Gabon, ce sommet a en réalité un air d’ultime tentative pour sauver la relation entre la France et son ancien pré-carré. Dans son discours préparatoire donné lundi 27 février à Paris, le Président de la République s’est exprimé sur l’approfondissement du « partenariat » entre la France, l’Europe et le continent africain.
 
Le constat lucide des mutations à l’œuvre en Afrique se fracasse sur la réalité d’une France qui subit sa mise au ban de l’histoire africaine. Emmanuel Macron reconnaît la multiplication des défis à venir, « sécuritaire, climatique, […] démographiques, […] sanitaires et géopolitiques ». Un discours d’un bon ton convenu, arguant de la nécessaire « humilité » de l’ancien colon face à une « terre de compétition ».
 
Mais le décryptage des intentions françaises reste délicat. L’usage des concepts flous, tel que la « terre d’optimisme et de volontarisme », ou l’évocation de « l’énergie » africaine nuit à la perception du discours présidentiel. Que peut proposer la France à part une « nouvelle relation, équilibrée, réciproque et responsable », alors que la concurrence de la propagande étrangère séduit de plus en plus les foules ? Les Russes avec Wagner jouent la sécurité et maîtrisent l’information ; preuve en est, c’est l’équipe de la chaîne Russia Today (RT) qui s’apprête à reprendre la tête de la télévision burkinabée, probablement depuis ses bureaux parisiens. 
 
Les Chinois bâtissent et achètent à tour de bras ; les États-Unis déploient, eux, une stratégie économique incitative faite d’investissements massifs, passant du reste souvent par leur partenaire marocain. Sont notamment ciblés par les Américains le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Gabon. En Afrique de l’Ouest, les contrats que jadis les industriels français remportaient quasi systématiquement vont désormais au plus offrant, c’est-à-dire… pas les Français.
 
Contrer le sentiment antifrançais
 
Débutant sa tournée au Gabon ce mercredi, Emmanuel Macron a rencontré son homologue, le président Ali Bongo Ondimba. L’un des sujets abordés concernait notamment la montée du sentiment antifrançais chez les jeunes galvanisés par les réseaux sociaux, qui s’incarne contre la présence des troupes françaises. Le pouvoir politique gabonais, qui reste coopératif, est bien souvent impuissant devant la propagation de ces contrevérités.
 
Invité à commenter le déplacement sur Radio Classique, le 1er mars, le journaliste Vincent Hugeux, spécialiste de politique internationale, a expliqué que « le ressentiment anti-français est à la fois l’héritage pesant d’arriérés coloniaux qui n’ont jamais été véritablement soldés et aussi d’une intense campagne de propagande menée notamment par la Russie […] qui vise en quelque sorte à sataniser les travers postcoloniaux de la France ». S’il y a un angle mort dans la stratégie française en Afrique, c’est bien la lutte contre la désinformation. La parole française est complètement étouffée – voire inexistante – et ne parvient pas à s’opposer au narratif construit par le groupe Wagner.
 
Mais le sentiment antifrançais n’avait guère besoin de la propagande russe pour se développer : la décrédibilisation des forces françaises au Mali a grandi avec l’allongement de l’opération Barkhane (2014 – 2022), muant son rôle de pacificateur en celui de colonisateur. En 8 ans, la perception très positive de l’opération Serval (2013 – 2014) a été largement ternie. En cause, le soutien de François Hollande au président socialiste du Mali Ibrahim Boubacar Keïta, évincé du pouvoir lors du coup d’État en 2020. La France a dû endosser la déliquescence économique du pays. La Russie n’avait qu’à capitaliser dessus.
 
Sauver les meubles
 
En arrière-plan du déplacement au Gabon, c’est aussi le maintien de la présence du groupe Total qui est discutée, comme il l’est en Angola où le chef d’État français se rendra jeudi. L’énergie est l’un des meubles à sauver de ce déplacement catastrophe, aux accents de Françafrique. Pour TotalEnergies, l’Afrique représente environ 30% de la production (900 kboep par jour) et 30 % de ses investissements. Cette présence qui infuse le tissu économique de l’ouest du continent est l’une des plus grosses cartes du jeu français, avec son industrie agroalimentaire et du BTP.
 
« Notre intérêt, c’est d’abord la démocratie »
 
Vendredi et samedi, c’est au Congo et en République démocratique du Congo (RDC) qu’Emmanuel Macron se rendra. Au Congo comme au Gabon, on n’ignore pas combien l’emploi du qualificatif de « démocratie » est sujet à caution. « Notre intérêt, c’est d’abord la démocratie » essayait pourtant d’expliquer le chef d’État français, lundi. Au Gabon, la famille Bongo est au pouvoir depuis 1967, et Denis Sassou N’Guesso dirige le Congo au coup d’État depuis 1979.
 
En RDC, le défi est surtout humanitaire : 27 millions de personnes sont en état de crise alimentaire et 4,2 millions de personnes sont atteintes de malnutrition aigüe, selon l’organisation humanitaire Médecin du monde. L’est du pays est depuis mai 2021 le théâtre d’atrocités, de crimes de guerre et d’exactions en tout genre, à cause de la rébellion du groupe armé « M23 ». Kinshasa accuse le Rwanda soutenir la rébellion armée du M23. La France a, ici encore, un discours indéchiffrable : l’Élysée parle d’une « régression inacceptable », qui ne désigne pas le responsable de la poursuite de cette guerre civile. À savoir Paul Kagame, président du Rwanda.
 
Habileté de communicant, Emmanuel Macron fait escale par deux pays qui n’appartienne pas à l’ancien bloc français. L’Angola était une colonie portugaise jusqu’en 1975 et la République démocratique du Congo, a pris son indépendance de la Belgique en 1960. Parler à toute l’Afrique sans la réduire aux ressorts coloniaux, voilà le message.
 
 Le besoin urgent d’une posture proactive
 
Le déplacement d’Emmanuel Macron intervient dans un moment critique, mais il était nécessaire et bienvenu. La France possède encore des atouts en Afrique, qui ne pourront être préservés qu’au prix fort d’un investissement réel dans les secteurs délaissés. L’éducation et la place de la femme permettraient de mener une véritable politique démographique. Une stratégie de communication proactive serait aussi bienvenue, à même de battre en brèche la propagande venue de Russie, de Chine, et pourquoi pas aussi des États-Unis, qui ont clairement décidé d’écrire leur partition sans les Européens.
 
Tourner la page de la Françafrique semble inéluctable car c’est un besoin qui correspond à notre époque. L’intervention de la France ne saurait se réduire à une promotion de la démocratie, dont l’équilibre est illusoire à court terme. Il s’agit pour l’heure de réaffirmer notre position pour ne pas laisser prospérer les impérialismes étrangers. Le danger de cette nouvelle influence concerne autant l’Afrique que l’Europe entière, notamment à cause des mouvements migratoires prévisibles, qui devront faire l’objet d’une attention particulière dans un avenir proche.
 

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