Géopolitique

[Tribune] Liban, la présidentielle impossible ?

Pourquoi le siège présidentiel est-il encore vacant ?

Depuis son élection (que l’on peut aussi appeler « désignation ») en 2016, le mandat de Michel Aoun n’a été qu’une succession d’échecs et d’ingérences. Ce dernier a réussi à faire pire que ses prédécesseurs. Pour certains, son élection à 82 ans était un signe que les chrétiens avaient encore leur mot à dire. Rappelons que la présidence du Liban n’est éligible qu’aux chrétiens maronites du pays. Pour d’autres, son élection représenterait une collaboration encore plus renforcée avec les États syriens et iraniens ce qui donnerait encore plus de légitimité et de pouvoir au Hezbollah, parti qualifié d’organisation terroriste par les pays occidentaux. 
 
Composition de la politique libanaise
 
Au Liban, la sphère politique est divisée en deux grandes coalitions. Celle du 14 mars que nous pouvons qualifier de souverainiste, proche des pays occidentaux et de l’Arabie saoudite ainsi que de ses alliés de la péninsule arabique. Les principaux partis de ce groupe sont : les Forces Libanaises, présidées par Samir Geagea, les Phalanges Libanaises (Kataeb), partie de la famille Gemayel et le Courant du Futur, parti de la famille Hariri. Celle du 8 mars, beaucoup moins attachée à l'autonomie du pays et à la souveraineté de la nation, se félicitant de ses liens étroits avec le régime syrien et l’Iran. Nous comptons parmi les principaux partis de cette alliance : le Hezbollah, le Courant patriotique libre, parti de Michel Aoun, le mouvement Amal, parti du président de la Chambre des députés, Nabih Berri et la Brigade Marada, parti de Sleimane Frangié.
 
Un mandat présidentiel troublé par une révolution manquée

Afin de mieux comprendre la situation actuelle, revenons sur les soulèvements qui ont marqué la présidence d’Aoun. En 2018, voyant la situation de leur pays se dégrader, les plus démunis et les plus occidentalisés se sont rassemblés à Beyrouth pour manifester contre un État corrompu et pour que les responsables rendent des comptes par rapport à tous les fonds financiers détournés. Certains le faisaient car ils ne parvenaient pas à nourrir leur famille et d’autres pour pouvoir envisager un avenir décent dans leur pays natal sans avoir besoin de s’expatrier. Ces apprentis révolutionnaires se sont vus réprimés par des policiers et militaires, encore fidèles à leurs dirigeants corrompus et quelques poignées de militants armés affiliés au Mouvement Amal de Nabih Berri, président de la Chambre des députés depuis plus de 30 ans. 
Les manifestations de sont calmées, jusqu’en août 2020, jour de l’explosion du port de Beyrouth. Cet événement a mobilisé encore plus de monde dans les rues, aux côtés des proches des victimes, l’heure était grave, ce qui s’était passé était impardonnable. L’été 2020, les Libanais ont cru à la révolution, au départ de Michel Aoun du palais présidentiel, et à Berri qui rendrait son siège de Président du Parlement. Mais ces deux octogénaires devaient bien tenir à leur fonction respective. La répression des forces de l’ordre, de l’armée et des milices fut encore plus violente qu’en 2018. Ajoutons à cela l’inflation sans précédent, dont les Libanais sont victimes depuis 2019.
 
Ces crises ont définitivement souligné l’échec du mandat présidentiel de Michel Aoun qui n’a jamais renoncé au siège de Baabda depuis son retour d'exil en 2005. Si l’élection était renouvelable, cela n’aurait étonné personne qu’il se représente.

Un processus électoral complexe

Beaucoup se demandent pourquoi, plusieurs mois après la fin de la présidence d’Aoun, un nouveau président n’a pas été élu. Eh bien accrochez-vous ! Au Liban, le président de la République se doit d’être chrétien maronite, conformément au Pacte national de 1943. Ce dernier est élu par le vote des députés, donc par suffrage indirect et doit obtenir la majorité absolue des voix, soit les deux tiers des scrutins. Il est donc de coutume que les leaders politiques se mettent d’accord en amont des votes pour désigner qui sera le prochain président « élu ».
 
Si aucune entente n’a lieu avant le vote, il est très compliqué qu’un candidat obtienne la majorité absolue à l’assemblée et dans un pays aussi divisé que le Liban, cela n’est pas une partie de plaisir.
 
Où en est l’élection présidentielle libanaise ?
 
Aujourd’hui deux personnes sont pressenties pour prendre la tête de l'État. Même si d’autres noms ont été énoncés précédemment par les médias, comme le député Michel Moawad, l’ancien ministre Ziad Baroud ou encore le gendre de Michel Aoun, Gebran Bassil. Le bras de fer se joue actuellement entre Sleimane Frangié, Président de la Brigade Marada et Joseph Aoun, commandant en chef de l’armée libanaise.
 
Frangié est un homme politique du nord du pays. Ses parents et sa sœur ont été assassinés pendant la guerre civile et ce dernier est dès lors pris en charge par son grand-père, qui s’appelait également Sleimane Frangié, ancien président libanais. L'aïeul était très proche de l’ancien président de la Syrie Hafez el-Assad et était « pro-syrien » ce qui permit au jeune Sleimane d’être un ami d’enfance de Bachar el-Assad. Il va sans dire que ce dernier est le candidat désiré de l’alliance : Hezbollah, Amal et Courant patriotique libre et par conséquent le candidat soutenu par le couple irano-syrien.
 
Le concurrent direct de Frangié dans cette élection est le général Joseph Aoun. Malgré un nom souvent entendu en politique libanaise, le militaire n’a pas de lien de sang avec le président émérite et n’a de commun avec lui que sa profession. Moins connu du grand public que le chef de la Brigade Marada, le Général Aoun, n’a aucun passif en politique, n’a jamais été impliqué dans des conflits d’intérêts ou dans des affaires de corruption. Sa réputation d’officier intègre, issu d’un milieu modeste et au train de vie simple, plaît à une bonne partie de la population et notamment ceux que l’on a qualifié plus haut de souverainistes. Mieux encore, il est connu pour un fait d’armes qui n’est pas des moindres : mettre fin à la menace de Daech sur le Liban en 2017. Il a également permis à l’armée libanaise de rester une institution forte malgré toutes les crises subies durant ces dernières années.
 
Joseph Aoun est un vrai patriote et c’est ce qui plaît à l’alliance du 14 mars : Forces Libanaises, Phalanges Libanaises et Courant du Futur. Jusqu’à présent, aucun de ces deux candidats ne parvient à obtenir le nombre de voix nécessaires au parlement pour avoir la majorité absolue.

Quelle est la position de la France dans l’affaire de la présidentielle libanaise ?
 
L’État français souhaite qu’un président soit élu au Liban sans complication et, contre toute attente, demande au bloc du 14 mars qui soutient le général Joseph Aoun de voter pour le candidat pro-syrien Sleimane Frangié, allié du Hezbollah, parti qualifié d’organisation terroriste par l’Union européenne et plusieurs pays occidentaux. D’après le média francophone libanais Ici Beyrouth, les Français se seraient rapprochés du président des Forces Libanaises Samir Geagea pour le convaincre d’accepter la candidature de Frangié aux élections, en lui proposant un compromis qui consisterait à nommer un Premier ministre qui serait proche des partis souverainistes. Les Forces Libanaises est le premier parti en nombre de députés au parlement (18) et la position son leader a un réel impact sur la balance de cette présidentielle. Geagea ne cède pas et maintient son refus d’accepter la candidature de Frangié. 
 
Les États-Unis ne sont pas du même avis que la France en ce qui concerne cette présidentielle. Sans se prononcer, ils ne sont pas d’avis qu’un partisan du Hezbollah se retrouve à la tête du pays. En effet, l’élection de Sleimane Frangié ne fera que prolonger la crise et le déclin du pays principalement causé par le Hezbollah et ses soutiens. Étant plus qu’un allié mais un ami du régime syrien, Frangié ne sera pas en mesure de faire passer les intérêts du Liban avant ceux de la Syrie et ne les empêchera pas d’avoir la mainmise sur le pays.

Quelle est la position du peuple libanais par rapport à cette élection ?

Le peuple libanais reste très communautaire, chacun est attaché à sa religion et à son ethnie, ceux qui se considèrent levantins, descendants des Phéniciens, amis de Saint Louis et des Français et ceux qui se considèrent arabes, proches de leurs voisins qui ont la même religion. Contre toute attente, que ce soit le bloc du 14 mars ou bien celui du 8 mars, tous deux sont composés de chrétiens et de musulmans, les musulmans du 14 mars à majorité sunnite et ceux du 8 mars à majorité chiite.
 
Un esprit féodal règne encore sur ce pays où les citoyens restent fidèles à un leader et souvent le soutiennent dans toutes les décisions qu’il peut prendre. Ces personnes mettent leur confiance lors des élections législatives en un député afin que ce dernier défende les intérêts de sa communauté et qu’il soit capable d’élire un président qui conviendrait à cette dernière. Les récentes crises n’ont pas empêché les Libanais de réélire, en 2022, en majorité des parlementaires issus des partis traditionnels. Ce n’étaient pourtant pas les candidats du changement qui manquaient. Ces derniers restent dans l’attente que leurs représentants s’occupent de leur trouver un président qui leur permettra de sortir de ce tunnel de perturbations qui dure depuis déjà trop longtemps.

Serge Kamel, consultant franco-libanais

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Commentaires

Françoise Lelief

Il y a 11 mois

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ayant discuté avec des libanais je trouve ici votre analyse un peu manicheenne; la crise dans laquelle le Liban se trouve, je ne crois pas qu'elle soit seulement dûe au Hezbollah. La pression des US dans cette région pour empêcher le Liban de passer sous influence Chiite est aussi une donnée de poids, hélas...

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