Malgré la différence d’âge entre eux, les traits d’innocence réunissaient l’enfant Abou Al-Fath et la docteure Mawadda. Tous deux ont été fauchés par la mort venue du ciel lorsque l’hôpital Al-Mujlad, dans l’État du Kordofan occidental, a été soudainement frappé, les tuant ainsi que plus de 40 autres personnes.
Sur la photo largement partagée sur les réseaux sociaux, le petit Abou Al-Fath Hamed Charafeddine apparaît vêtu du maillot de son équipe préférée, le Liverpool FC. Sa chambre, bien que modeste, est ordonnée, une scène émouvante des rêves des enfants soudanais avant que la guerre n’éclate à la mi-avril 2023, dévastant vies humaines et ressources.
L’autre image est celle de la médecin Mawadda Al-Nour, qui avait quitté sa famille pour se porter volontaire au bureau médical de la salle d’urgence de l’hôpital Al-Mujlad, avec pour seul souci de soigner les enfants, les femmes et les blessés. Elle a rendu l’âme lorsqu’un drone a largué ses bombes sur les patients, les médecins et les infirmiers, causant des dizaines de victimes.
Que s’est-il passé ?
Sans avertissement ni justification apparente, des civils ont été tués ou blessés, parmi eux du personnel médical, lors du bombardement de l’hôpital Al-Mujlad dans l’État du Kordofan occidental samedi dernier. Le site Sudan Tribune rapporte, citant des sources locales, que l’hôpital a été visé par une frappe de drone menée par l’armée soudanaise.
Cette attaque s’inscrit dans une série d’atteintes aux droits humains, notamment les frappes aériennes ciblant marchés, écoles et hôpitaux par l’armée soudanaise. L’aggravant cette fois : l’hôpital Al-Mujlad est le seul de la région doté d’un centre de dialyse, privant ainsi des centaines de patients de soins vitaux.
Le bombardement a causé des dégâts partiels à l’établissement, qui accueillait déjà des blessés transférés depuis la ville de Babnousa, siège de la 22ᵉ division d’infanterie et quartier général de l’armée dans la région, théâtre d’affrontements violents ces derniers jours.
Une escalade alarmante
L’ONU, par la voix de son porte-parole Stéphane Dujarric, a exprimé sa vive inquiétude concernant les rapports faisant état d’une attaque sanglante contre l’hôpital Al-Mujlad. Celle-ci aurait causé la mort de plus de 40 civils, dont des enfants et du personnel soignant, et fait des dizaines de blessés, en plus de graves destructions des infrastructures médicales.
Dujarric a relayé les propos de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), soulignant que l’attaque survient dans un contexte de grave dégradation du système de santé dans la région, avec environ trois quarts des établissements de santé dans les zones de conflit, dont le Kordofan, hors service ou fonctionnant partiellement.
Il a déclaré :
« Nous avons toujours condamné les attaques contre les structures médicales et leur personnel, surtout dans les zones de conflit. La protection garantie par le droit international humanitaire pour les blessés, les malades et les soignants doit être respectée en toutes circonstances. »
Violation grave du droit international
Le Centre national soudanais des droits de l’Homme a relayé la condamnation de l’OMS concernant l’attaque menée par l’aviation militaire soudanaise contre l’hôpital. Cette dernière a entraîné la mort de 40 civils, dont 6 enfants et 5 médecins, ainsi que des dizaines de blessés.
Dans une autre publication sur X (ex-Twitter), le centre a qualifié cette attaque de :
« Escalade grave illustrant l’ampleur des violations humanitaires, à travers le ciblage par drones de l’armée soudanaise de l’hôpital Al-Mujlad. »
Il a ajouté :
« Cette attaque contre une infrastructure médicale essentielle survient alors que le système de santé s’effondre pratiquement dans sa totalité. »
Le centre a rappelé que :
« Le ciblage des hôpitaux constitue une violation flagrante du droit international humanitaire, qui interdit d’attaquer les installations médicales en temps de conflit. »
« Les forces armées poursuivent leur politique de bombardements systématiques, visant même les lieux censés servir de refuge aux blessés et aux malades. Ce crime dépasse la seule tragédie humaine : il s’agit d’un acte qui engage la responsabilité de la communauté internationale. »
Une crise humanitaire aggravée
Ces violations interviennent dans un contexte d’effondrement quasi total du système de santé, avec 80 % des structures médicales hors service dans les régions du Darfour, de la Gezira, de Khartoum et du Kordofan. Cela prive enfants et femmes de soins d’urgence et de soutien psychologique, selon l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’Homme.
L’Observatoire met en garde contre l’augmentation dramatique de plus de dix fois des violations graves à l’encontre des enfants lors des deux dernières années. Le phénomène, auparavant limité aux régions du Darfour, du Nil Bleu et du Sud-Kordofan, s’étend désormais à plus de la moitié des 18 États du Soudan. Cela reflète l’effondrement du système de protection des civils, devenus des cibles directes dans les combats.
Campagne de déplacement ethnique
Il y a quelques jours, les autorités de l’État de la Gezira, contrôlé par l’armée depuis le coup d’État d’octobre 2021, ont lancé une campagne de destruction de quartiers résidentiels à Wad Madani, la capitale de l’État. Cette opération, annoncée officiellement par l’Autorité exécutive pour la protection des terres gouvernementales, dépendant du ministère de l’Aménagement urbain, a débuté mercredi.
Des militants et des ONG ont documenté que ces opérations ciblaient de manière sélective des communautés d’origine africaine, notamment celles originaires du Darfour, du Kordofan et du Nil Bleu, connues sous le nom d’« habitants des kanabis ».
Cet acharnement, accompagné de discours de haine tenus par des groupes locaux se prétendant « autochtones », révèle une dimension ethnique manifeste. Il renforce les clivages raciaux et entraîne des déplacements forcés, la perte des moyens de subsistance et une détérioration des conditions de vie déjà catastrophiques, ce qui alimente les accusations de crimes contre l’humanité.
Appel à l’action humanitaire internationale
L’Observatoire euro-méditerranéen insiste sur l’urgence de mettre en œuvre un programme complet de lutte contre les violences basées sur le genre, incluant la création d’« espaces sûrs » mobiles dans les zones de déplacement et les villages isolés.
Il appelle l’ONU et les pays influents à ouvrir des corridors humanitaires sûrs terrestres et aériens sous supervision internationale, garantissant un accès inconditionnel aux aides médicales et alimentaires, sans entraves aux mouvements des travailleurs humanitaires, tout en assurant le respect de ces voies par toutes les parties impliquées.
Nizar Jlidi
Journaliste et analyste politique