Ukraine : la malédiction de Koursk

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C’était en juillet 1943. Avant sa mort en 2023, Erhard Gührs en parlait encore comme du combat de sa vie. Soldat dans la division Leibstandarte de la Waffen-SS qui menait l’assaut, il écrivait juste après la bataille alors qu’il gisait sur un lit d’hôpital : « Nous avons combattu en première ligne, le couteau entre les dents. La seule option pour nous, c’était de traverser le feu. Pourquoi ne suis-je pas mort ? »

OMERTA 8

Il ne fut pas le seul à considérer que l’offensive allemande sur Koursk de l’été 1943, baptisée « Opération Citadel » et qui donna lieu à la plus grande bataille de chars de l’histoire, fut le moment déterminant du conflit à l’est. Stalingrad avait ouvert la marche des Soviétiques vers l’Ouest ; l’opération « Bagration », qui eut lieu en Biélorussie en 1944, permettra de casser véritablement la colonne vertébrale d’une armée allemande qui ne mena plus ensuite que d’intenses combats d’arrière-garde jusqu’à Berlin. Au milieu, Koursk, avec son front sud situé à Kharkov, fut le moment où tout pouvait encore basculer dans un sens ou dans l’autre. Les Soviétiques le savaient, qui y menèrent une bataille défensive d’une intensité extrême. Certains principes furent repris par l’armée russe en 2022/2023 pour briser la contre-offensive ukrainienne, en particulier lors de l’édification de la fameuse ligne « Sourovikine ».

Ce ne fut nullement un hasard si les stratèges militaires ukrainiens et en particulier le général Oleksander Sysrky mirent un point d’honneur à porter le fer à l’intérieur de la Russie en août 2024 à cet endroit précis. Volodymyr Zelensky avait prévenu : il faut que les Russes sentent la guerre chez eux. Koursk comportait tous les symboles chers aux Russes de la ville martyre et d’un combat de géants qui vit la victoire de l’Armée rouge. En outre, le secteur n’était pas une zone contrôlée par l’armée, mais par les gardes-frontières du FSB. Elle était donc nettement moins surveillée. Les Ukrainiens déployèrent des trésors d’ingéniosité et de discrétion pour acheminer leurs soldats à la frontière, soldats sélectionnés parmi les meilleures troupes. Lorsque, le 6 août, ils pénétrèrent sur le territoire russe, ce fut la surprise totale.

Après avoir fait prisonniers les gardes-frontières, les Ukrainiens s’enfoncèrent rapidement en Russie, jusqu’à, au bout de quelques jours à peine, atteindre les faubourgs de Koursk et menacer de s’emparer de la centrale atomique de Kourchatov qui alimente la ville en électricité. En tout, au maximum de leur opération, ils parvinrent à conquérir quelques 1200 km² de Russie.

L’audace fut saluée dans le monde entier. L’armée russe finit par stopper la percée, non sans difficulté. Et c’est là qu’à l’image de l’armée allemande en 1943, les choses commencèrent à se compliquer au point qu’on peut parler de véritable malédiction de Koursk. Dans l’histoire, un Allemand de renom, bien avant Adolf Hitler, avait averti des dangers de s’attaquer militairement à la Russie. Le chancelier Otto von Bismarck avait écrit : « Ne touchez jamais à la Russie. Quoi que vous fassiez, ne vous opposez pas à elle. Car même quand elle semble faible, elle se relèvera toujours et vous brisera. Ne tentez jamais de prendre quelque chose aux Russes : tôt ou tard, ils reviendront le chercher. » Hitler n’aura pas retenu la leçon. En 2024, l’armée ukrainienne non plus. Comme l’avoue un officier ukrainien qui s’exprime sous le pseudonyme de « Tatarigami UA » et dont le compte X est un des plus utiles pour comprendre le conflit :

« Cela peut paraître difficile à accepter, mais lorsque j’ai exprimé pour la première fois mes inquiétudes concernant les opérations offensives ukrainiennes dans la région de Koursk, j’avais anticipé à juste titre qu’elles pourraient conduire les forces russes à reprendre Koursk, puis à progresser progressivement vers l’oblast de Soumy, puis vers le Dniepr.
Avec le recul, l’offensive s’est avérée bien plus coûteuse qu’une incursion limitée ou une défense stratégique. Une opération de courte durée, de deux à quatre semaines, visant à créer une zone tampon modeste à l’intérieur de Koursk aurait pu préserver des ressources. Au contraire, la campagne a entraîné des pertes nettement plus importantes, tant en hommes qu’en matériel.
En mai 2025, l’Ukraine avait perdu 994 véhicules confirmés dans l’oblast de Koursk, contre 791 du côté russe. À titre de comparaison, sur le front Avdiivka-Pokrovsk, les pertes ukrainiennes s’élevaient à 679 véhicules, contre 2 352 pour la Russie.
Avec la diminution de l’aide militaire occidentale, la réduction du soutien américain pour des raisons politiques, l’incapacité de l’Europe à fournir suffisamment de matériel et les difficultés des forces ukrainiennes à reconstituer leurs effectifs, l’ampleur des pertes subies à Koursk n’est rien d’autre qu’une grave erreur d’appréciation opérationnelle et stratégique de la part des hauts responsables.
Comme je l’ai souligné dès le début, la Russie a finalement pu concentrer suffisamment de forces pour reprendre Koursk sans affaiblir significativement ses positions à Pokrovsk. Seules des unités russes très limitées ont été redéployées depuis Pokrovsk, tandis que l’Ukraine a déplacé des dizaines de milliers de soldats, laissant ce front en sous-effectif et accélérant les avancées russes. »

À méditer…

Voir aussi : Koursk, en immersion exclusive au cœur de la contre-offensive russe

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