Trump : diplomatie personnelle, avec la bénédiction de Poutine

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Lorsqu’on a entendu parler de lui la première fois, Steve Witkoff ne parvenait pas à prononcer correctement les noms des quatre oblasts d’Ukraine, occupés et revendiqués par la Russie.

Pour quelqu’un qui venait d’être désigné par Donald Trump comme son négociateur en chef, cela avait de quoi inquiéter. Mais dans le monde du président américain, cela n’était pas si important que cela. Mieux vaut mettre en place quelqu’un qui sache négocier comme on achète un immeuble, un homme du concret, plutôt qu’un diplomate russophone chevronné qui utilise les codes du monde d’avant. Ce qu’on ignorait jusqu’ici, c’est que Vladimir Poutine pensait exactement la même chose.

Au début, Trump avait comme envoyé spécial pour l’Ukraine un ancien général du nom de Keith Kellogg. Réputé hostile à la Russie et surtout, ayant une fille impliquée dans une ONG en Ukraine, le Kremlin a très rapidement fait part à Washington de son souhait de changer d’intermédiaire. Le Wall Street Journal nous apprend ainsi que Poutine aurait indiqué qu’il ne souhaitait parler qu’à une seule personne dans l’équipe Trump. Après consultation avec les équipes de « profilers » du Kremlin, Witkoff parut être le candidat idéal. La demande fut adressée à la Maison Blanche via les offices de Mohamed Bin Salman, le prince héritier d’Arabie saoudite. Poutine refusait catégoriquement de parler à la CIA, au Département d’État ou à un ancien général. Le message était clair : une personne seulement, pas d’espion, pas de diplomate, même pas un russophone nécessairement, pas d’escorte, pas de traducteur, une seule personne. Au fil des discussions, d’autres figures firent leur apparition dans le secret des négociations au Kremlin. Dernier en date, Jared Kushner, le gendre de Trump, souvent là lorsqu’il s’agit d’aborder le volet économique et financier du « deal ». En l’occurrence, il s’agit à présent du financement de la reconstruction de l’Ukraine.

Les services de renseignement russes avaient repéré Witkoff depuis longtemps et étudié son profil. De là à penser que ce sont eux qui dictent à Trump via Poutine leurs desiderata, c’est un peu excessif. Car tant sur Gaza qu’avec l’Iran, Witkoff a établi des relations personnelles avec des interlocuteurs désignés, avec qui les contacts se font via des messageries, directement et en anglais. Pour cela, comme avec Poutine, Witkoff court-circuite volontiers l’appareil diplomatique, avec deux personnes comme référent à domicile : Marco Rubio pour être briefé (parfois aussi par le NSC, le conseiller à la sécurité nationale), et Donald Trump comme ultime décideur.

Voir aussi : Avoirs russes, hold-up à haut risque ?

Steve Witkoff a ainsi rencontré Poutine seul à seul à six reprises. Une fois, l’entretien a duré cinq heures et Witkoff est reparti en obtenant la libération d’un prisonnier américain. Les Ukrainiens regrettent qu’il ne mette pas autant d’ardeur à leur rendre visite. Ce rôle est dévolu à Marco Rubio, qui opère dans un cadre diplomatique plus traditionnel, même si, depuis le retour de Trump, la diplomatie est devenue une affaire si personnelle que ses équipes du département d’État ont presque l’impression parfois d’être au chômage. C’est ainsi. Désormais, les négociations de paix en Ukraine reposent sur la personne d’un homme, ex-magnat de l’immobilier et partenaire de golf du président américain. Sur Gaza, le pari a en partie réussi. Faire signer un accord certes imparfait entre Israël et le Hamas paraissait totalement improbable. Sur l’Ukraine, l’affaire est plus compliquée. Mais Witkoff est parvenu à se rendre indispensable. Et peu importe finalement s’il ne prononçait pas correctement le nom des quatre oblasts ukrainiens. L’important n’est-il pas de mettre fin au bain de sang ?

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