Syrie : une application numérique à l’origine de la chute d’Assad ?

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L’histoire paraît rocambolesque, mais elle étonne finalement assez peu à l’ère des bipeurs piégés du Hezbollah ou des divers logiciels qu’utilisent les services de renseignement pour cibler leurs adversaires. Aujourd’hui, en effet, la guerre ne se livre plus seulement sur le terrain, mais également sur les ondes et dans les téléphones, reflets parfaits de la réalité ou en tout cas composante fondamentale de celle-ci. Là, il s’agit d’une application téléchargeable, banale en apparence…

On s’est souvent demandé comment, le 27 novembre dernier, les rebelles syriens cloîtrés jusqu’alors dans la province d’Idlib avaient pu aussi facilement faire tomber une ville comme Alep, qui est deux fois plus grande que Paris. Au bout de dix ans de guerre civile, c’était plutôt l’armée syrienne qui, jusqu’alors, les avait poussés dans leurs derniers retranchements et les maintenait enfermés à Idlib. On a alors trouvé comme explication commode que les djihadistes de HTC (Hayat Tahir al Cham) et leurs alliés étaient parvenus à mener leur campagne éclair jusqu’à prendre Damas et renverser Assad, grâce à l’aide et à la formation qu’ils avaient reçues de la part de leurs mentors turcs. On attribue souvent aussi un rôle indirect à Israël, trop heureux de cette opportunité d’éliminer du vieil ennemi syrien et ainsi de couper les routes d’approvisionnement du Hezbollah au Liban depuis l’Iran.

Drones, matériel moderne et surveillance ajoutés à l’épuisement d’une société syrienne sous sanctions et à une paye ridicule ont également été mis en avant pour expliquer le manque d’enthousiasme des militaires syriens qui a conduit à la défaite éclair d’une armée qui avait pourtant, il n’y a pas si longtemps, triomphé des rebelles djihadistes, certes grâce à l’aide indispensable des Russes, des Iraniens et du Hezbollah.

Or voilà qu’une enquête révèle qu’une application serait à l’origine du désastre de l’armée syrienne. Elle est arrivée à l’été 2024, via la messagerie Telegram, sur les téléphones d’officiers de haut rang de l’armée syrienne dans un premier temps. Déjà en février 2020, un téléphone laissé à l’intérieur d’un véhicule Pantsir-S1 de défense anti-aérienne de fabrication russe et dont le signal avait été repéré par les services israéliens avait conduit à la destruction du véhicule par une frappe aérienne. Là, il s’agit d’un procédé différent. C’est volontairement que les militaires ont tous téléchargé l’application STFD-686 (diminutif de « Trust et Fond Syrien pour le Développement »). Elle portait le label d’une association caritative très populaire dans le pays, fondée par la Première Dame Asma el-Assad, d’où l’absence de méfiance, mieux, l’obligation implicite faite à chaque individu syrien de l’avoir dans son téléphone, au risque d’être suspecté d’être un ennemi du pouvoir. Pour s’inscrire, il fallait simplement fournir des renseignements banals et répondre à quelques questions. STFD-686 proposait des aides financières aux « héros de la nation », ce qui, dans la Syrie de 2025 et vu l’état de décrépitude du pays, pouvait en intéresser plus d’un. La confiance venait aussi du fait qu’on la téléchargeait à partir de Telegram, qui est le vecteur numérique de communication privilégié en Syrie, et non via WhatsApp ou autre. Rapidement, on dépassa le cercle des officiers et des milliers de soldats l’eurent sur leurs téléphones. Elle était disponible en arabe et en anglais. Son phrasé reprenait la prose habituelle du régime et sa forme les logos baasistes classiques et symboles officiels. Nulle raison de s’en méfier donc…

Puis l’application s’est mise à demander plus d’informations, comme le matricule militaire du soldat, l’endroit de sa garnison et sa spécialité, l’armement qu’il était amené à manier, etc. Ce qui se tramait en réalité, profitant de l’ignorance de la plupart des soldats syriens de toute notion de cyberguerre, c’était la constitution d’une carte complète des forces gouvernementales syriennes. Lors de leur assaut sur Alep, les hommes de HTC disposaient d’informations ultraprécises sur leurs adversaires en temps réel. Ces derniers n’eurent aucune chance. Leurs ennemis les connaissaient de l’intérieur.

Lors d’une interview récente à une télévision syrienne, Ahmed al-Sharaa, le nouveau maître de Damas, a révélé que « Dissuasion de l’agression », nom de code de l’opération qui a conduit à sa prise de pouvoir, avait requis cinq ans de préparation. Il a ajouté que le gouvernement syrien en avait eu connaissance, mais qu’il s’était révélé incapable de la contrer. Il n’a pas dit pourquoi, mais il semble désormais clair qu’une forme de pénétration d’origine numérique de l’intérieur du camp Assad aura joué un rôle dans sa chute. Un seul mystère demeure aujourd’hui : qui a conçu STFD-686 et qui est derrière cette opération ?

Lien vers l’enquête (en anglais)

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