Rodéos urbains : 13 victimes, un couteau et un buzz

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Un « véritable miracle » : les mots de la procureure de la République de Bordeaux, voyant que l’accident du vendredi 14 avril n’avait fait aucun mort, seront-ils toujours d’actualité si les exactions de ce type se multiplient ? Le lendemain seulement, à Brest ce dimanche, un homme a demandé à des jeunes de 14 à 16 ans d’arrêter leur rodéo à moto, « juste à côté des parcs où il y a des enfants » ; les jeunes reviennent à vingt, et le tabassent à la batte et au couteau. Roué de coups, blessé à la tête, Sylvain Gaillard s’en sort heureusement. 
 
Le conducteur responsable du rodéo sauvage rue Darget à Bordeaux sera jugé au mois de juin prochain pour « blessures involontaires » et participation à un rodéo urbain. Les agresseurs de Sylvain Gaillard, eux, se sont évaporés. Les événements du genre se multiplient, et on compte 7000 verbalisations en un mois et demi (depuis le 1er mars) pour 8 000 verbalisations pour rodéo urbain en deux mois entre juin et août dernier. En cause, l’attrait du buzz sur les réseaux sociaux : car, tant qu’à mettre tout le monde en danger, pourquoi ne pas se filmer ?
 
« Y’a pas de souci, on revient »
Et ils sont revenus, à vingt, armés d’un couteau et d’une batte de baseball. Sylvain Gaillard est un militaire de 30 ans, habitant d’un immeuble du quartier Bellevue à Brest où la frime à moto, rap à fond, est un sport national tous les weekends « dès 14 h jusqu’à 21 h, voire plus ». Entre l’insupportable nuisance sonore et l’insécurité grimpante, surtout à côté d’un parc pour enfants, il descend leur demander d’arrêter leur cirque. 

« Ça ne leur a pas plu, ils m’ont dit « pas de souci, on revient », et sont revenus à vingt, avec une batte de baseball et un couteau ». L’homme s’en sort, mais avec trois coups de couteau à la fesse, blessé à la tête, hospitalisé en urgence. Le quartier doit vivre avec de telles exactions, et les jeunes âgés selon lui entre 14 et 16 ans font la loi contre tous les habitants, excédés, inquiets même pour leur sécurité.

 Run illégal, rodéo commercial
Une foule, un parcours strictement interdit par les autorités locales et un dérapage. La zone commerciale Bordeaux-Lac a été le théâtre d’un « run », un rodéo urbain à pleins moteurs au milieux des cris d’encouragement et des smartphones en mode caméra. Alors que le show se termine sur le circuit improvisé, un spectateur décide de prendre sa Citroën C3 avec trois autres personnes pour tenter sa chance au dernier moment. 

Un tour, deux tours sur chaussée mouillée ; il perd le contrôle au troisième et percute la foule amassée, treize spectateurs au total, avant de prendre la fuite, en état de sidération. Il échappe d’abord aux automobilistes à sa poursuite, avant de se faire coincer à quelques kilomètres de là. Les victimes, dont une de 17 ans, sont prises en charge par des médecins et des psychologues, et leur état sera défini en terme d’ITT (Incapacité totale au travail).

 
Trois jours plus tôt, mardi, une moto cross se filmait fièrement dans les couloirs internes d’un autre centre commercial, à Échirolles dans la banlieue de Grenoble. Pas de dégâts à déplorer cette fois-ci, sinon l’image du lieu et de sa sécurité, démunie. 
 
Cash car
 
Le phénomène est loin d’être nouveau, mais s’intensifie. On se souvient d’un jeune de 19 ans mort en juin durant un rodéo, ou encore des deux enfants de 10 et 11 ans blessés gravement l’été dernier. 8000 interpellations avaient eu lieu en deux mois dans la période.
 
Les « rodéos urbains », illégaux depuis 2018, ont un terrible avantage pour les coureurs : braver la loi et la tranquillité d’une rue, avec son rythme urbain plan-plan, ses limitations de vitesse barbantes et ses avertissements de sécurité à tout va – pourraient-ils dire – a quelque chose d’excitant, hors du commun, « gangster » de New York même dans les rues d’Échirolles. Alors, une moto cross dans un centre commercial, c’est un coup à recevoir des dizaines de milliers de « likes » voire plus, dans des vidéos généralement sous-titrées d’un très évocateur « MDR [mort de rire] J’en peux plus ils ont aucun respect », et ses smileys afférents. 
 
Et en effet, on peut dire sans trop de difficulté qu’ils n’ont aucun respect. C’est même le but. En réaction aux accidents de cet été, La députée Renaissance à l’origine de la loi de 2018, Natalia Pouzyreff insistait sur France Info le 7 août dernier sur la nécessité de rendre systématique la saisie des véhicules, mesure choc selon ses dires. Elle énonçait encore vouloir « renforcer la possibilité pour les policiers de faire des enquêtes au long court, avec la possibilité d’avoir plus de caméras dans les quartiers pour pouvoir revoir les évènements lorsqu’ils se présentent et faire des interpellations a posteriori ».
 
Des mesures prises par le ministère de l’intérieur… l’été dernier
 
Vœu pieux sans suites, ou constat d’échec d’une politique pourtant bien appliquée ? Car plus de six mois plus tard, les chiffres n’ont pas baissé et l’accident récent ne fait que le mettre tragiquement en évidence. La procureure de la République de Bordeaux, Frédérique Porterie, a logiquement déploré avec force l’accident, tout en souhaitant rappeler les efforts menés pour éviter le phénomène, et notamment ceux annoncés par Gérald Darmanin cet été, dont les syndicats de police pointaient déjà l’inadéquation au terrain. Finalement, La procureure concédait bien en définitive que « les participants à ce type de pratiques persévèrent au mépris de toutes les interdictions et/ou actions pour les faire cesser », avant d’ajouter qu’il « faut surtout espérer que les participants à ce genre d’exercice prendront conscience de la gravité de leurs agissements, qu’ils en soient auteurs actifs ou spectateurs passifs ». Un tel sermon devrait en convaincre plus d’un.
 
En attendant, l’enquête est en cours concernant l’agression de Sylvain Gaillard, tandis que l’auteur du « run » de ce vendredi sera jugé le 7 juin prochain pour « blessures involontaires », accompagné de deux circonstances aggravantes, « conduites d’un véhicule compromettant la sécurité des usagers ou la tranquillité publique » et participation à un rodéo urbain. Il encourt jusqu’à sept ans de prison, et a été incarcéré en attente de son procès, tandis que ses passagers sont libres. 

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