Volodymyr Zelensky semble être le dos au mur. Le président ukrainien a entamé hier des pourparlers à Berlin pour convaincre les Américains de réclamer un cessez-le-feu en Ukraine sans concessions territoriales. Presque tout le nœud des négociations est contenu dans ces trois derniers mots, « sans concessions territoriales ». Les discussions avec les dirigeants européens se poursuivent aujourd’hui, toujours à Berlin. Jared Kushner et Steve Witkoff sont de la partie.
Premier point, le plus important. Ukrainiens et Européens défendent avec acharnement le principe d’un cessez-le-feu avec un gel du front sur les positions actuelles. C’est-à-dire sans que l’intégralité du Donbass ne soit cédée aux Russes qui le réclament. Les Américains le leur ont proposé dans leurs diverses versions du plan de paix. En échange, l’armée russe se retirerait de la partie occupée des régions de Soumy, Kharkiv et Dnipropetrovsk (nord, nord-est et centre-est), mais se maintiendrait dans celles de Kherson et Zaporijjia (sud), dont Moscou revendique l’annexion. La version du plan américain révisée par les Ukrainiens n’a pas été rendue publique. Un texte a également été soumis à Moscou par Steve Witkoff. L’Ukraine est particulièrement sous pression, la présidence étant affaiblie par un scandale de corruption, l’armée étant en recul et la population soumise à des coupures de courant à cause des frappes russes.
L’Ukraine veut en priorité garder Trump de son côté. Ceci explique pour partie l’acharnement que met son armée à conserver des emprises à Pokrovsk et la contre-offensive couronnée d’un certain succès qu’ils ont menée sur Koupiansk, dégageant le centre-ville et maintenant les Russes au nord de la ville. Les Ukrainiens mettent aussi en avant la résistance de Mirnograd, qu’ils tentent de présenter comme un « Camerone » ukrainien, soit le combat d’une garnison encerclée qui se bat pour l’honneur. Pour Zelensky comme pour Syrsky, son chef d’état-major, tout est bon pour plaire à Trump, pour le persuader que leur résistance vaut le coup et, surtout, pour l’empêcher de céder aux demandes maximalistes des Russes.
Il faut rajouter à cette demande de gel du front le souhait du président ukrainien d’obtenir des garanties de sécurité suffisantes pour dissuader les Russes de recommencer le conflit, comme un mécanisme de réaction à une menace sur l’Ukraine de même nature que l’article 5 de l’OTAN. Sans évidemment que ce mot ne soit prononcé, ce mécanisme obligerait l’ensemble des alliés, Américains en premier lieu, à réagir militairement si la Russie réattaquait.
Sans que ce soit une garantie de sécurité, la promesse d’adhésion de l’Ukraine à l’Europe à l’horizon 2027 semble faire partie du nouveau plan américain. Autant dire que pour eux, ça ne mange pas de pain. Pour les Russes non plus qui ont dit depuis longtemps qu’ils n’y étaient pas opposés. En revanche, allez demander à nos agriculteurs en ce moment ce qu’ils pensent des poulets ukrainiens et vous serez bien reçus, je pense.
Néanmoins, dès dimanche, l’Ukraine a assuré qu’elle renonçait à adhérer à l’OTAN. Ce volet des négociations était de toute façon impératif pour espérer les voir avancer quelque peu. L’extension de l’OTAN à l’Est étant pour les Russes la raison première de leur entrée en guerre en février 2022. « C’est un compromis de notre part », a signifié Volodymyr Zelensky. Manière pour lui de signifier que son pays, lui, fait des compromis, et les Russes très peu.
Les Européens, maintenant. Maintenus sur la touche par une Maison Blanche très critique de ses alliés du Vieux Continent, on sent bien qu’ils veulent à tout prix peser sur les pourparlers, arguant que la sécurité européenne est en jeu et que la Russie est une menace continentale. D’où la multiplication sans doute ces derniers temps des discours martiaux, comme la semaine dernière celui de Marc Rutte, le secrétaire général de l’OTAN, qui a dit que nous devions nous préparer à vivre une guerre comparable à celle qu’ont vécu nos grands-parents et nos arrière-grands-parents. D’où également, en France, ces rappels incessants de l’Élysée et du gouvernement sur une menace russe accrue. Il est vrai que les Européens sentent le vent tourner. Zelensky l’a senti, lui, depuis un petit moment. Les dirigeants européens sont longtemps restés sur leur petit nuage, oubliant au passage la manière dont ils avaient traité Trump avant son élection. Lui, hélas pour eux, ne l’a pas oublié. Le discours de J. Vance à la conférence de Munich et la publication de la Stratégie de sécurité nationale la semaine dernière donnent une idée très précise et claire de ce que pensent de nous les Américains. Comme le résumait chez Omerta le colonel Peer de Jong, expert militaire, « Trump nous voit comme des bons à rien gangrénés par des islamistes ».
Côté russe, ces discussions laissent songeur. Youri Ouchakov, le principal conseiller de Poutine pour l’international, déclarait samedi que son camp avait de fortes objections sur la vision européenne et ukrainienne du plan de paix. Encore une fois, la prise de la ville fortifiée de Siversk et la conquête rapide de Gouliaïpol ainsi que les avancées vers Zapordjia continuent à faire que les Russes sont persuadés qu’ils peuvent obtenir la reddition de l’Ukraine, voire sa capitulation et qu’ils auront in fine le Donbass dans son intégralité. Ne jamais oublier que, dans toute négociation, c’est d’abord le champ de bataille et le sort des armes qui décident.





