Le vendredi 13 novembre 2015, les terroristes de Daech commençaient leur carnage au Stade de France, sur les terrasses et au Bataclan. Ils avaient au préalable tourné des vidéos testaments où ils revendiquaient leurs actes sur le périmètre de « Division 17 », une ancienne base de l’armée syrienne située au nord de la ville de Raqqa.
À cette époque, Ahmed Al-Chaara, alias Abou Mohamed al-Jolani ne fait plus partie de l’État islamique. C’est pourtant lui qui, quelques années plus tôt avait conquis Raqqa au nom de Daech. Depuis, il a rompu avec ses anciens camarades de combat pour poursuivre le djihad en Syrie avec son groupe à lui, Jabhat al-Nosra. Rupture tactique plus que philosophique. Parfois, dans la pratique, la nuance entre Nosra et Daech est plus que ténue : tous deux pratiquent massacres sectaires, décapitations, tortures, etc. Nosra est très syrien, Daech plus internationaliste, dirons-nous pour résumer. Il n’empêche qu’Ahmed al-Chaara a fait partie de ceux qui ont mis Daech sur les fonts baptismaux. En tant qu’ex-compagnon de cellule d’Abou Bakr al-Bagdadi, qui deviendra calife de Daech, Ahmed al-Chaara avait reçu de ce dernier la mission de conquérir la Syrie au nom du groupe. Ainsi, le 13 novembre 2015, Ahmed al-Chaara fait toujours partie de la nébuleuse djihadiste qui a enfanté les massacres de Paris et continue régulièrement à cette époque et depuis, à ensanglanter l’Europe.
Nous commémorerons cet automne les dix ans de ces événements terribles qui nous ont tous marqués. Dans ce contexte, et au vu des piètres performances dans l’exercice du pouvoir démontrées par Al-Chaara depuis qu’il a remplacé Bachar el-Assad sur le trône à Damas, était-il judicieux d’inviter un tel personnage à l’Élysée comme s’apprête à le faire Emmanuel Macron ? Le nouveau leader syrien avait promis en effet d’inclure les minorités dans la Syrie nouvelle, censée tourner la page de « l’horreur » des années Assad. En réalité, les Alawites, les Chrétiens et tout récemment les Druzes ont fait l’objet d’attaques de la part d’éléments extrémistes dans le sillage d’HTC, Hayat Tahir al-Sham, le groupe dirigé par al-Shaara. Certaines vidéos montrent même que les propres hommes d’al-Shaara ont participé aux exactions. Encore que ce dernier se justifie, comme il l’a toujours fait quand il régnait sur la province d’Idlib au nord-ouest de la Syrie, en se présentant comme le pacificateur, celui qui vient dompter les extrémistes. En réalité, il avance masqué depuis toujours et, dans le fond, n’a jamais vraiment coupé avec l’idéologie djihadiste qui l’animait dans sa jeunesse quand, aux côtés d’Abou Moussa al-Zarqawi, il tuait des Américains et surtout des chiites pendant la guerre d’Irak.
Il est certes indispensable pour un pays comme la France de chercher à reprendre pied dans une Syrie où elle eut autrefois un rôle significatif à jouer. Il importait par exemple de rouvrir notre ambassade à Damas. La stabilisation du Liban en dépend aussi, mais que signifient ces projets de lever des sanctions pour un régime dont la nature est pour le moins douteuse ? Ahmed al-Shaara a imposé comme loi fondamentale du pays un texte cadenassé de bout en bout par la sharia. La stabilité du pays n’est pas non plus garantie. En parallèle du changement de régime à Damas, les Israéliens occupent une partie de la Syrie. Les Turcs règnent sur le Nord au travers de milices et de groupes armés qu’ils instrumentalisent depuis des années contre les Kurdes. Ces derniers contrôlent le nord-est de la Syrie et n’ont aucune intention de brader leur autonomie au nom d’une pseudo-réconciliation nationale. Ils ont payé assez cher leur liberté et savent tout le prix qu’il faut payer pour se débarrasser de Daech et de Bachar. Les Alawites ont été victimes d’attaques sectaires. Des femmes ont été enlevées, des hommes ont disparu, des corps ont été retrouvés. Les Druzes se sont soulevés. Le pays est en ébullition. L’initiative d’Emmanuel Macron interroge donc. Surtout au moment où l’on s’apprête à se remémorer l’horreur du 13 novembre. Devait-on accueillir à Paris en grande pompe un idéologue à l’origine de ces massacres ? La réponse est dans la question.