Ils étaient un million en 1980 sous Saddam Hussein, 630 000 en 2005 ; leur diminution a été constante depuis l’invasion américaine en 2003. En 2014, leur nombre a encore reculé avec l’émergence de Daech. Près de 120 000 d’entre eux ont quitté le pays cette année-là. Beaucoup se sont réfugiés en Syrie à l’époque, le régime de Bachar el-Assad représentant à leurs yeux une garantie de survie. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
Les chrétiens d’Irak sont pourtant une des plus anciennes communautés chrétiennes au Moyen-Orient. On compte parmi eux dix dénominations différentes. Les plus nombreux sont les catholiques chaldéens, viennent ensuite les orthodoxes de l’Église apostolique assyrienne puis l’Église catholique syriaque, les syriaques orthodoxes, etc.
Mon but n’est pas de dresser une exégèse de toutes ces églises, mais de vous faire prendre conscience de la tragédie qu’ont vécue ces chrétiens.
Dès l’invasion américaine, les chrétiens sont persécutés, ce qui est paradoxal, Georges Bush étant censé mener une quasi-croisade contre les fanatiques musulmans. Les « takfiri », les fondamentalistes musulmans le prennent à la lettre et s’en vont persécuter les chrétiens sur le mode « guerres de religion », au nez et à la barbe des troupes d’occupation américaines qui, n’étant pas partout, ne peuvent pas toujours intervenir.
Je voudrais m’attarder un instant sur le sort du quartier à majorité chrétienne de Dora, à 10 kilomètres au sud-ouest de la capitale. En juillet 2007, lorsque je m’y suis rendu avec les Américains, des groupes liés à al-Qaïda avaient instauré un prétendu “État islamique en Irak et prélevaient le jizah, l’impôt des infidèles, qui s’élève jusqu’à 200 dollars par an, soit de quoi subvenir aux besoins d’une famille de 6 personnes pendant 1 mois. Certaines familles chrétiennes étaient contraintes de donner une de leurs filles en mariage à un musulman pour rester. Une fatwa interdisait de porter la croix au cou. Quant aux églises, c’est à coups de grenades qu’elles avaient été contraintes d’ôter les croix de leurs coupoles et de leurs façades. À la mi-mai, l’église assyrienne de Saint-Georges avait été incendiée. En juillet, les troupes américaines avaient repris le secteur et occupaient un lieu spirituel proche de l’église. Je me souviens des croix brisées, des icônes jetées par terre. Sur une porte, les djihadistes avaient tenté d’enlever une croix incrustée à coups de burins, mais n’y étaient pas parvenus. Ils n’avaient pas touché aux livres, dont certains, rédigés en arabe, dataient d’avant l’arrivée de l’islam. La mission des hommes de la 2ᵉ division d’infanterie avec lesquels je séjournais était de construire un mur pour séparer les divers groupes confessionnels du secteur. Cela se passait la nuit. Ils surveillaient les travaux depuis les toits. C’est dire à quel point l’Irak était descendu dans une spirale sectaire.
Trois ans plus tard, le 31 octobre 2010 cette fois, veille de Toussaint, 42 personnes sont tuées sur le coup (au total 68) et 60 autres blessées dans la cathédrale du Perpétuel-Secours de Bagdad. Les deux prêtres ont été tués, le père Wassim et le père Thair. Depuis la visite du pape François en 2021, ils sont en voie de béatification. À l’époque, l’indifférence de l’État français était presque totale. Il se disait préoccupé verbalement par le sort des chrétiens d’Irak, mais les médias se saisissaient peu du problème et il faudra attendre 2015 pour que le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Laurent Fabius, évoque discrètement, en plus du sort des yézidis, très médiatisé, celui des chrétiens. Les évêques français attendront aussi plusieurs années avant d’évoquer la situation. La première réunion d’envergure pour briser le mur du silence se tient à Paris au Cirque d’Hiver en juin 2015, où une poignée de députés de différents partis est représentée.
En 2014, leur situation s’aggrave. Ils sont chassés par Daech de la plaine de Ninive, de leurs sanctuaires de Qaraqosh, et trouvent refuge au Kurdistan irakien. Des villes habitées par des chrétiens depuis plus de 1 800 ans sont conquises : ils ont le choix entre se convertir, prendre l’exil, offrir une de leurs filles à un musulman, être rançonnés au passage. Des centaines sont égorgés vifs ou fusillés. Je m’y suis rendu pendant la bataille de Mossoul que j’ai couverte avec la Golden Division, une unité d’élite de l’armée irakienne. Lors de mon passage à Qarakosh, je remarquai que les forces qui entouraient la ville libérée de Daesh étaient des Hachd al-Shabbi, des miliciens chiites qui avaient avec la milice chrétienne locale reconquis la ville. On savait qu’on entrait en secteur chrétien car sur le check-point il y avait écrit « Jesus love ». Contraste avec les bannières des Hachd al-Shabbi arborant le portrait de l’imam Hussein. Là encore ce sont les églises brûlées qui m’ont le plus marqué. À Mossoul, la tombe de Jonas avait été incendiée par Daech et divers lieux chrétiens pillés. Depuis, leur situation n’a guère changé…