Les apprentis-sorciers

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Ils se sont donné le mot. « Nous devons nous préparer à une guerre d’une ampleur comparable à celle qu’ont connue nos grands-parents ou nos arrière-grands-parents. » Depuis Berlin, le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, reprend trait pour trait l’idée du chef d’état-major français Fabien Mandon qui estimait en novembre, devant les maires réunis en congrès, que la France devrait être prête « à accepter de perdre ses enfants ». D’un côté comme de l’autre, l’objectif est de persuader les Européens et les Français qu’on va devoir se préparer à affronter la Russie.

La première salve était venue de Fabien Mandon lors de son audition devant l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances 2026. L’armée française, avait-il déclaré, doit être « prête à un choc dans trois, quatre ans » face à la Russie, qui « peut être tentée de poursuivre la guerre sur notre continent ». Fabien Mandon est un général d’aviation qui a toujours vu la guerre d’en haut, et qui fut chef de l’état-major particulier du président de la République. Soit directement la voix de son maître, Emmanuel Macron. Très vite, le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Pierre Schill, prenait le relais. Cette fois, c’était sur RTL. Et il avait mis la tenue de combat. Si on peut décemment se poser la question du bien-fondé de porter une tenue camouflée pour passer à la radio, son propos renforçait l’effet de terreur voulu : « Dès ce matin, tout peut basculer », annonçait-il. Un autre ex-général, Vincent Desportes, prenait aussitôt le relais sur LCI : « La France doit se réveiller, elle est en danger. » Et si ça ne suffisait pas, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, affirmait que « Poutine veut en découdre ».

À l’époque, Moscou jugea bon de répliquer par la voix diplomatique : « L’ambassade juge nécessaire de rassurer les citoyens français : la Russie n’a jamais eu, et n’a toujours pas, l’intention d’attaquer la France ou quelque autre pays de l’Union européenne, ni aujourd’hui, ni dans trois ou quatre ans, ni à l’avenir. » Mais depuis, l’ardeur guerrière n’a pas baissé en intensité. C’est d’autant plus surprenant que, même si la guerre en Ukraine où, depuis deux ans, les Russes conquièrent des villes au compte-goutte, alors que les Ukrainiens ne cessent d’être en positions défensives, rien n’indique qu’on se prépare à une déferlante comme celle de l’Armée rouge entre 1943 et 1945. Ni même qu’après avoir conquis les dernières forteresses du Donbass, Poutine soit tenté de s’aventurer plus à l’ouest. Il y a quelques mois encore, notre ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot estimait que « le front se rapproche ». En effet, en deux ans, il s’est rapproché de 200 kilomètres dans le Donbass. C’est à peu près la distance que les Russes ont grignoté aux Ukrainiens dans cette terrible guerre. Celle-ci est très peu une guerre de mouvement, et beaucoup une guerre d’attrition dont le but n’est pas tant de saisir des territoires que de détruire son adversaire. Les Russes ont pour partie atteint leurs objectifs en ce sens que l’Ukraine n’a plus du tout l’initiative. Poutine sent qu’il peut parvenir à la faire capituler sur le terrain. C’est la raison pour laquelle il cherche à gagner du temps.

L’autre dimension à analyser, c’est celle que Moscou est par ailleurs intéressée à commercer avec les États-Unis. On l’oublie, mais lors de la première rencontre entre Américains et Russes à Djeddah en Arabie saoudite en janvier dernier, il y avait cinq réunions. Une seule était consacrée à l’Ukraine, les quatre autres ayant trait aux perspectives commerciales et financières de la nouvelle ère de relations inaugurée par Trump et Poutine. Quand on met cela en perspective, on s’aperçoit qu’entre Washington et Moscou, on est loin de se trouver sur la trajectoire de l’apocalypse nucléaire. Dès lors, ces propos alarmistes de nos généraux qui parlent de se préparer à une nouvelle saignée n’ont que peu de sens, sauf qu’ils font réellement peur à une population qui, franchement, n’en a pas besoin au vu des marasmes économiques et sociaux dans lesquels se trouvent nos pays.

Voir aussi : Guerre à la Russie, entre peurs et fantasmes

Que la France se réarme, je ne trouve rien à y redire. Je constate au passage que ce sont ceux qui aujourd’hui veulent la réarmer qui, hier, la désarmaient, au bout de quarante ans de baisse des budgets militaires… Mais puisqu’il s’agit d’agiter les peurs, de parler de guerre avec la Russie, je souhaiterais sincèrement que sur ces plateaux télé, dans les ministères, à l’état-major, on se souvienne de ce que fut la saignée de 14, de celle de 45 aussi, de la guerre d’Algérie, avant de trépigner à l’idée d’aller attaquer les Russes avec, pour certains, j’en ai vu, le sourire aux lèvres. Nos généraux et nos dirigeants devraient humblement retourner au cimetière de leur village et méditer un instant. Il y a quelques années, je me trouvais dans le hameau breton de Saint-Michel-en-Glomel. En passant, mon œil fut attiré par le monument aux morts. D’aspect classique, il était composé d’un cône d’environ trois mètres de hauteur, surmonté d’une croix. Mais ce n’était pas ça qui m’a attiré. Ce sont les 35 noms, je les ai comptés, uniquement pour la guerre 14/18. Ils étaient presque trop nombreux pour la taille de l’édifice, ce qui faisait que les morts des autres guerres étaient relégués tout en bas. Je notais parfois plusieurs fois le même nom de famille. Des frères, des cousins, des pères. Or ce village ne comportait alentour qu’une dizaine de fermes, pas plus. 35 morts, rien que là-bas…

J’ai passé une partie de ma vie à couvrir les guerres comme reporter. Je ne les souhaite à personne. Le premier souci de nos dirigeants devrait être de garantir notre sécurité, mais surtout de tout faire pour préserver la paix.

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