L’Égypte à l’aube d’une nouvelle crise alimentaire

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« Il faut faire ses courses maintenant ! » Tel est le mot d’ordre qui circule depuis quelques jours dans les rues du Caire. La livre égyptienne vient de connaître une nouvelle dépréciation. Le 10 janvier, la parité était de 27 livres pour un dollar, contre 29 livres mercredi 18 janvier. Une nouvelle inflation des prix des produits de bases devrait suivre mécaniquement. Pour la population, il s’agit d’anticiper. Mi-janvier, le kilo de farine valait 150 livres, soit 4,68 euros contre 1 à 1,50 euro en France. 
 
La conjoncture économique désastreuse que connaît l’Égypte en ce début d’année 2023 repose sur sa dépendance structurelle aux importations et sur les choix politiques inadaptés à la crise. Commençons par préciser que le pays compte quelque 105 millions d’habitants dont 30% vivaient sous le seuil de pauvreté en 2019/2020[1]. La guerre en Ukraine ayant pour corollaire l’augmentation des prix des céréales, cette proportion atteint 60%, selon les chiffres de la Banque Mondiale relayés par Le Monde[2]. L’Égypte importe massivement son blé. C’est même le plus gros importateur mondial, avec 12 millions de tonnes par an. Les importations en blé dépendaient avant le début du conflit à 61 % de la Russie et à 23 % de l’Ukraine[3]. L’approvisionnement dégradé depuis mars 2022 superpose une crise structurelle aux crises conjoncturelles et politique qui affaiblissent le pays depuis plusieurs années. 
 
Le blé est notamment vendu via le système des cartes de rationnement, qui permet à maintenant 70 millions d’Égyptiens d’avoir accès aux prix subventionnés du pain. Avant crise, un Égyptien sur trois avait accès aux prix subventionnés. C’est désormais plus d’un sur deux. Pour prévenir les pénuries, les magasins limitent les quantités disponibles à l’achat. De plus, début août, le président Abdel Fattah al-Sissi s’est risqué à augmenter le prix des produits subventionnés, augmentant encore les difficultés de sa population. En décembre, le Conseil national de l’alimentation tentait de convaincre sur les bienfaits nutritifs des pattes de poulet. « Les pattes de poulets, bénéfiques pour l’organisme et le portefeuille »[4], pouvait-on lire dans la presse. Une stratégie de communication déconnectée de la réalité, très mal perçue par la population. Surtout quand le message est appuyé par une photo – retouchée ? –, montrant le footballeur Cristiano Ronaldo attablé devant une assiette aux pattes de poulet. 
 
Dévaluer pour être compétitif 
 
Cette situation aurait pu être amortie. Car plutôt que d’acheter massivement des céréales sur les marchés internationaux au début de la crise, en février 2022, l’Égypte a voulu protéger ses exportations, en dévaluant sa monnaie. Un pari en trois étapes : mars et octobre 2021 puis dernièrement le 3 janvier. En tout, la livre égyptienne a perdu 70% de sa valeur en dix mois face au dollar américain[5]. L’impact sur le quotidien devient insoutenable. 
Alors pourquoi dévaluer ? Notons que la dévaluation est une baisse intentionnelle de la valeur d’une monnaie par rapport à une autre, contrairement à la dépréciation qui est, elle, un mécanisme subit. La dévaluation est l’une des conditions pour recevoir l’aide du Fonds Monétaire International. Il s’agit d’abaisser le taux de change pour favoriser les exportations égyptiennes et les investissements étrangers. L’entrée de devises étrangères stables, euro ou dollar, a un effet dopant sur l’économie. 
 
À ce sujet, tous les moyens sont bons. Face à la volatilité de la livre égyptienne, on s’arrache les autres devises, jusque dans les billets de trains vendus aux touristes, payables uniquement… en dollars. Les bus pourraient être prochainement concernés. Un signal malvenu dans un pays où le tourisme représente près de 5% du Produit national brut. Autre exemple, la réduction de l’éclairage public depuis fin août. Le gouvernement cherche ainsi à libérer de l’énergie pour exporter davantage de gaz, afin d’augmenter ses réserves de change [6].           
 
Les perspectives sont bien sombres pour le pouvoir égyptien, déjà très critiqué à cause du financement des projets couteux, qui ne profitent qu’à une minorité, notamment aux élites militaires.

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