Kyrylo Budanov et le Dien Bien Phu ukrainien

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Il s’appelle Kyrylo Budanov, avec deux « y » car il est ukrainien. Né à Kiev en 1986, à l’époque de l’Union soviétique, il est néanmoins passionnément déterminé, depuis toujours, à « libérer » son pays de toute influence russe. Il représente ces nationalistes ukrainiens dont la révolution du Maidan en 2014 a consacré l’arrivée aux affaires. Mais lui, c’est l’armée qui l’obsède, pas n’importe laquelle, la non conventionnelle, celle de l’ombre, celle qui meurt et délivre la mort sans qu’on le sache : les forces spéciales.

Il a un visage poupon, mais qui comporte encore des traits adolescents. Ce sont ses yeux en lames de couteau qui trahissent son âme. Depuis 2014, il fait partie de ces agents ukrainiens formés par les Américains, plus particulièrement par la CIA. Son unité n’a pas de nom. Seulement des chiffres : 2245. Elle est spécialisée dans des missions de sabotage, d’assassinats ciblés, de déstabilisation derrière les lignes ennemies. Début août 2016, alors qu’il était encore lieutenant-colonel, il aurait conduit une unité de cinq membres des forces spéciales dans un raid amphibie sur l’isthme de Perekop, vers Armiansk, au nord de la Crimée annexée par la Russie, pour poser des explosifs sur un aérodrome. L’unité de Budanov est interceptée par un commando russe après avoir atterri. Les commandos ukrainiens tuent plusieurs soldats russes, dont le lieutenant-colonel Roman Kamenev, avant de se retirer.

Dès sa formation, son unité opère particulièrement en Crimée, éliminant les personnalités pro-russes. Sauf que l’élève va bientôt donner du souci au maître. Car il agit aussi dans le Donbass rebelle, en guerre contre Kiev. Selon le New York Times, Budanov, grâce à ses liens avec la CIA, a été amené aux États-Unis pour être soigné au Walter Reed National Military Medical Center après y avoir été blessé lors de combats. Les Américains constatent l’hécatombe chez les partisans de Moscou, les chefs militaires séparatistes mais aussi les élus locaux, et ça ne leur plait pas. Poutine à l’époque est invité dans tous les sommets internationaux. Le G7 s’appelle encore le G8. S’attaquer indirectement aux Russes peut provoquer des tensions, d’autant que Moscou est parfaitement au courant des agissements de la CIA dans l’Ukraine voisine. Le New York Times révélera après le début de l’invasion en 2022 que l’agence possède douze stations implantées le long de la frontière russe et que ses agents sont restés dans le pays pour aider Kiev à contrer les Russes.

L’invasion, c’est le moment où Budanov, alors chef du HUR, la Direction principale du renseignement du ministère ukrainien de la Défense, va prendre de l’importance. Il est au courant de l’arrivée des Russes. Même Zelensky n’y croit pas. Budanov a sûrement été tuyauté par ses maitres de la CIA. Avant le déclenchement de l’opération militaire spéciale, il met même sa famille à l’abri. Le HUR est une véritable armée parallèle, un mixte entre KGB et CIA, combinant subtilement les forces des deux pour agir. Budanov a de l’ambition. Zelensky le sait, mais contrairement à d’autres adversaires qui depuis le début de la guerre attendent leur heure dans l’ombre du président, il choisit de ne pas l’écarter, mais d’utiliser son audace et sa force, toujours un peu « borderline ». Budanov s’illustre alors en ordonnant au moins quatre plasticages contre le pont de Kertch en Crimée, des tentatives de prise de contrôle de la centrale nucléaire d’Energodar, près de Zaporijjia, ou l’explosion d’un pont au passage d’un train dans la région de Briansk en Russie causant la mort de passagers. Pour lui, militaire ou civil, la frontière n’existe pas, tant qu’il s’agit de « tuer du Russe ». Il a en cela une mentalité typique CIA époque Afghanistan, où peu importait que l’alliance avec des fanatiques religieux puisse un jour poser problème, l’essentiel étant de saigner les maudits « ruskovs ».

Souvent les Américains le laissent agir, même s’ils se plaignent régulièrement d’initiatives de sa part qui ne sont pas dans le manuel. Budanov supervise ainsi le plasticage d’au moins cinq pétroliers en pleine mer ou dans des ports en Méditerranée, suspectés de faire partie de la fameuse flotte fantôme qui écoule le pétrole de Poutine. Tout au long de la guerre, il pilote les opérations les plus risquées, parfois très couteuses en vies humaines pour ses commandos. En juin dernier, c’est néanmoins son grand rival dans l’appareil politico-militaire ukrainien, Vassil Maliouk, qui est crédité du succès de l’opération « Toile d’araignée » qui consista à faire décoller des drones à partir de camions pour frapper les bases de bombardiers en Russie même. Mais la philosophie de cette opération reprend trait pour trait ce que Budanov a pratiqué à son niveau tout au long de la guerre.

Ses prouesses militaires et ses coups tordus ne suffisent pourtant pas à ralentir la progression des Russes. Bakhmout, Avdiivka, Soudja, bientôt Pokrovsk, les villes d’Ukraine tombent les unes après les autres, toujours avec cette vieille tactique éprouvée à Stalingrad du contournement par le Nord et le Sud et du sac à feu avec anéantissement, retrait ou capitulation de la garnison ukrainienne. À Pokrovsk ces derniers jours, la situation est devenue critique. L’agglomération risque de devenir la plus grande place forte conquise par les Russes depuis la prise de Bakhmout en mai 2023, il y a deux ans et demi. Les unités d’infanterie sont désormais au cœur de cette ville qui comptait 60 000 habitants avant la guerre. La ville voisine de Myrnohrad est elle aussi encerclée. Mais Zelensky s’obstine. Il ne veut pas donner à Poutine son cadeau de Noël : la grande victoire russe de 2025.

C’est là que Budanov intervient. La situation est si désespérée que le bataillon « Azov », spécialiste des interventions quand le front craque en mode pompier, a refusé d’engager ses hommes à Pokrovsk. C’est son chef, Andreï Biletsky, qui l’a dit à Zelensky. Au soir du 31 octobre, Kyrylo Budanov propose à l’état-major d’envoyer ses commandos au nord-ouest de la ville, à l’endroit même où les Russes sont en train de refermer la nasse. Ils agiront par des actions de sabotage sur les positions russes pour la maintenir ouverte coûte que coûte, et peut-être permettre aux unités ukrainiennes prisonnières d’évacuer Pokrovsk. L’opération est aussitôt qualifiée de suicidaire. La zone est infestée de drones. À la manœuvre en face, la redoutable unité russe baptisée « Rubicon » et ses drones à fibre optique.

C’est dans le même état d’esprit que ceux du dernier saut en parachute sur Dien Bien Phu en 1954 que le commando, composé de 11 hommes, embarque à la tombée du jour à bord de deux hélicoptères Blackhawks. Ils savent qu’ils n’ont quasiment aucune chance d’en revenir vivants. Les deux appareils, qui volent à très basse altitude pour éviter la DCA russe, sont très vite repérés alors qu’ils survolent une route. Les dronistes de Rubicon sont alors sur leurs gardes.

Un premier hélicoptère atterrit dans un champ. Sept hommes en sortent et se déploient. Le drone d’observation russe les repère aussitôt. Les drones filaires entrent en action. Les images sont diffusées presque aussitôt par les Russes. On y voit les hommes courir dans la nuit tombante, puis le drone se rapprocher et l’image du soldat qui se fige, signe que le drone a atteint sa cible.

Sur une séquence, un drone pénètre à l’intérieur d’un bâtiment où se sont réfugiés deux commandos qu’il détecte à leur empreinte calorifique, puis il se fait exploser. Les Russes annoncent bientôt que l’ensemble du commando a été éliminé. Les Ukrainiens ne font aucun commentaire sur ce sacrifice de leurs meilleures troupes, pour que Volodymyr Zelensky continue à dire que Pokrovsk n’est pas tombée. La rumeur voulait que Budanov était au combat parmi les siens. Une photo le montre en réalité à 90 kilomètres de l’endroit du largage. Il pilote de loin l’opération. En 54, Bigeard lui était à Dien Bien Phu au milieu de ses soldats et il fut fait prisonnier par le Việt-Cong.

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