Il y a quelques années, un site parodique baptisé « Kim looking at things » (Kim regarde les choses) montrait le dictateur nord-coréen dans diverses postures, en usage pour un dictateur dans son pays où on l’est de père en fils.
Ainsi, on le voyait regarder un tracteur, une fusée, une machine à laver ou une voiture, chaque produit incarnant une part du génie créatif de son peuple. Sur chaque image, il était accompagné par une cohorte de militaires ou de fonctionnaires admiratifs. Quand Kim souriait, tout le monde souriait ; quand Kim était sérieux, tout le monde fronçait les sourcils, chacun guettant la prochaine inflexion des traits de son visage qui signerait qu’il approuve ou désapprouve. En fonction de cela, le patron de l’usine fabriquant les tracteurs, les fusées, les machines à laver ou les voitures pouvait se retrouver médaillé ou devenir un numéro dans un camp également désigné par un numéro…
Ce Kim Jong-un fut, des années durant, l’objet de nos moqueries pour ce qu’il représente, son accoutrement ou sa coupe de cheveux. Il semblait concentrer sur sa personne tout ce qui restait de soviétique dans le monde, du culte de la personnalité à l’aspect sanguinaire de son régime, forcément amené à disparaître. Notre éducation, nous à l’Ouest, nous avait appris que dans de telles contrées, rien ne pouvait pousser correctement. On était aux antipodes du monde capitaliste, aux antipodes de la liberté, dans les chaînes d’une dictature chimiquement pure.
Hier, je suis tombé sur une animation sur Instagram où on voyait Kim mélancolique, un mouchoir à la main comme s’il avait pleuré. Il était marqué : « quand tout le monde se bombarde et que tu n’es pas invité. » Il est vrai que Kim, lui, voulait faire la guerre. Il l’a toujours voulue. Il était chaud pour ça. Pensez ! Des années qu’il bricole ses fusées dans son coin, menaçant tour à tour le Japon et les États-Unis. En 2018, il était tout de même parvenu à faire venir Trump chez lui. Mais là, depuis quelques temps, il avait beau s’agiter, plus personne ne le relevait tant le centre du monde se situait entre Moscou et Téhéran.
Sauf que… À y regarder de plus près, Kim Jong-un et son père Kim Il-sung ont beaucoup à voir dans la réalité du monde guerrier qui se manifeste sous nos yeux. Cette Corée du Nord lointaine, à l’écart des routes du monde, perdue aux confins de l’Asie dans une zone où personne ne va jamais, n’est pas qu’un vestige du passé, tout juste bon à amuser un Gérard Depardieu excité par les femmes en jupes, socquettes et caquettes militaires.
À l’hiver 2023 en Ukraine, la Corée du Nord a d’abord joué un rôle fondamental auprès de son allié russe en lui fournissant des millions d’obus de 122 et de 152 mm à un moment où l’Ukraine en manquait, elle, cruellement. Kim, qui s’était rendu à Moscou en septembre cette année-là, aura permis à Poutine de tenir le coup dans une période de pénurie. Il a ensuite récidivé en envoyant au même Poutine ses soldats et ses missiles sur le front de Koursk. Non pas que ce fût un « game changer », mais le coup de main fut salué par les Russes.
Mais ce n’est pas tout. Il y a plus important encore. En 2003, lorsque les Iraniens commencèrent à s’intéresser aux missiles à longue portée avant de faire de leur fabrication quasiment un sport national, c’est la Corée du Nord qui, fruit de ses recherches acharnées, leur en a fourni le premier exemplaire. Les Iraniens, bien plus riches que les Coréens, l’ont d’abord étudié, disséqué puis reproduit chez eux. La suite, on la connaît, on la voit tous les soirs en ce moment sous la forme d’une pluie de missiles s’abattant sur les villes israéliennes en parvenant à percer le Dôme de fer. Kim regarde toujours le monde depuis son coin perdu, mais en se disant qu’il a voix au chapitre.
Voir aussi : Iran, l’héritage nord-coréen