Il n’est plus surprenant d’évoquer l’influence croissante des Frères musulmans en Europe, notamment en Allemagne, en Autriche, en Belgique, au Royaume-Uni, en Suisse et bien entendu en France. Mais, depuis la publication, en mai dernier, d’un rapport gouvernemental alarmant sur l’infiltration du mouvement dans la société française, les inquiétudes sont revenues sur le devant de la scène, accompagnées d’appels insistants en faveur d’une stratégie sécuritaire renforcée pour faire face à cette « expansion silencieuse ».
Virage sécuritaire à Paris
Dans la foulée, le Conseil de défense et de sécurité nationale, présidé par Emmanuel Macron, a annoncé une série de mesures destinées à durcir le contrôle des activités de la confrérie en France. Le président français a élargi la liste des sanctions visant l’organisation et renforcé les mécanismes de gel des fonds et des dons, tout en décidant la fermeture d’un institut lié aux Frères.
Selon plusieurs médias français, Macron aurait exprimé sa vive inquiétude à la suite d’un rapport des services de sécurité révélant le niveau d’enracinement de la confrérie au sein d’institutions officielles. Cette révélation aurait été déterminante dans la prise de décisions urgentes.
Assèchement des ressources financières
Macron a également annoncé la préparation d’un projet de loi visant à assécher les sources de financement des Frères musulmans. Le texte devrait être finalisé d’ici la fin de l’été, pour une entrée en vigueur avant la fin de l’année. Parmi les mesures prévues : l’élargissement des procédures de « liquidation administrative » ciblant les fondations et associations proches du mouvement, et la nomination d’un commissaire spécial chargé de superviser la dissolution judiciaire de ces structures.
Ce deuxième conseil de sécurité consacré au sujet (après une première réunion en mai) a aussi porté sur les modalités de liquidation des biens des entités dissoutes, qu’il s’agisse d’associations ou de fonds religieux, avec l’objectif de permettre aux tribunaux de désigner des entités responsables pour assurer l’exécution effective de ces décisions.
Une stratégie d’infiltration méthodique
Le rapport confidentiel ayant motivé ce durcissement de ton s’intitule « Les Frères musulmans et l’islam politique en France ». Commandé par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, il a été rédigé par les services de renseignement français. Il met en garde contre une stratégie bien huilée reposant sur la « réislamisation », le « séparatisme » et la « subversion », avec pour objectif final de déstabiliser la République.
Le document identifie notamment une « cellule dure » autour de l’organisation Musulmans de France, considérée comme la façade officielle des Frères musulmans dans l’Hexagone. Le nombre de ses membres est estimé à environ 400. Le rapport souligne que le domaine éducatif constitue une priorité pour le mouvement.
Une couverture par l’action sociale
L’expansion du réseau passe principalement par l’action sociale, selon le rapport, qui recense des réseaux locaux articulés autour des mosquées, avec des activités commerciales, sportives ou de soutien professionnel, ciblant des quartiers souvent frappés par la pauvreté et la marginalisation.
Ce maillage s’accompagne, toujours selon les auteurs du rapport, d’un renforcement des pratiques religieuses visibles, comme l’augmentation du port de l’abaya et du voile parmi les jeunes filles. Le document affirme que les Frères musulmans concentrent désormais leurs efforts sur le continent européen, en raison du recul de leur influence au Moyen-Orient.
L’étude décrit également la constitution de « réseaux d’organisations » visant à influencer les institutions européennes et à imposer leur propre vision de la liberté religieuse. La Turquie est mentionnée comme un soutien clé de cette stratégie, et les Balkans comme terrain d’expansion futur.
Un réseau associatif tentaculaire
L’un des principaux vecteurs d’action des Frères musulmans en France reste le tissu associatif. Selon une étude du Centre européen d’études sur la lutte contre le terrorisme et le renseignement, la France compte plus de 250 associations islamiques, dont 51 seraient affiliées aux Frères.
La chercheuse Siham Abdelrahman y souligne que « les associations caritatives religieuses ayant une activité politique ou agissant au bénéfice de ces groupes représentent une menace sérieuse ». Une cinquantaine d’associations sont ainsi placées sous surveillance, certaines ayant été dissoutes pour leur incompatibilité avec les principes de la République.
Parmi les entités mentionnées : BarakaCity, fondée par Idriss Sihamedi et dissoute par les autorités ; le groupe Sheikh Yassine, impliqué dans des actes violents et proche du Hamas, notamment dans l’assassinat du professeur Samuel Paty ; ou encore Pearl of Hope, soupçonnée de financer des opérations en Irak et en Syrie.
Autre entité inquiétante :
Chevaliers de la Fierté (Knights of Pride), une organisation salafiste djihadiste fondée par Mohamed Chamlane, qui prône la charia et le djihad contre les « mécréants ».
Imbrication politique et communautaire
Le Centre européen a également révélé que le réseau français des Frères a su bâtir une toile d’organisations à l’interface de la vie politique locale, surfant sur la démographie des diasporas musulmanes, et prétendant en représenter les intérêts. Cette imbrication est renforcée depuis la promulgation du droit au regroupement familial, qui a accentué l’installation durable des communautés musulmanes.
L’Union des organisations islamiques de France (UOIF), historiquement proche des Frères, organise chaque année le Rassemblement des musulmans de France, véritable plateforme politique pour certains groupes. L’association FEMYSO, créée en 1996, joue également un rôle actif à l’échelle européenne, ayant participé à des initiatives de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe. Le secrétaire d’État aux Affaires européennes, Clément Beaune, a publiquement affirmé sa proximité idéologique avec les Frères.
Selon plusieurs experts, FEMYSO est affiliée à l’Union des organisations islamiques en Europe (UOIE), bras idéologique des Frères musulmans sur le continent, que la revue française Marianne décrit comme le courant islamiste fondamentaliste dominant en Europe.
Une longue histoire d’entrisme
L’entrisme des Frères musulmans en Europe remonte aux années 1960, lorsque des réfugiés politiques venus d’Égypte et de Syrie, comme Saïd Ramadan, s’y installent. Ils jettent alors les bases d’institutions telles que les facultés islamiques, les conseils de fatwa, les associations étudiantes ou encore les fondations caritatives.
Selon le centre MENA de recherche, les ministères de l’Intérieur européens ont ensuite mis en place, entre 1990 et 2010, des « conseils islamiques » représentatifs. Ces structures de dialogue avec les citoyens musulmans ont souvent été investies, voire contrôlées, par les Frères musulmans, qui y ont appliqué des stratégies qualifiées de « pragmatiques » : recherche d’alliances là où ils étaient faibles, volonté de domination là où leur influence était suffisante.
Franck Belfort