Société

Régis Le Sommier reçoit Michel Onfray

 [Régis Le Sommier] : On a projeté l'autre jour, notre documentaire « Front Russe » qui montre la réalité de la guerre en Ukraine du côté des russes. Nous avions comme invité Henri Guaino, il me disait qu'il constate que notre époque nous a fait revivre et nous fait revivre en ce moment des choses qu'on pensait disparues pour toujours, à savoir une guerre conventionnelle de haute intensité, mais aussi le spectre d'une attaque nucléaire. Ce matin, je me suis réveillé, j'ai regardé les news et on parlait de Zaporijjia à nouveau bombardée, est-ce que vous êtes d'accord avec lui que notre époque nous fait vivre des choses qu'on pensait ne plus avoir à vivre ? 

[Michel Onfray] : Non. Moi, j'aime bien Henri Guaino, mais je pense que lui qui est gaulliste, un peu gaulliste historique, il aurait dû s'inspirer du tragique du général De Gaulle. Moi, je n’ai jamais pensé que tout ça, c’était fini. 

C’est-à-dire que les gens qui nous ont annoncé que l'histoire était terminée, que l'effondrement du bloc soviétique, e serait enfin la possibilité d'un libéralisme planétaire, et qu’on allait vers cette espèce de théorie du ruissellement, qu’il n’y avait plus ce méchant empire soviétique donc le libéralisme allait pouvoir enfin triompher. 

Je me souviens qu'à l'époque, on opposait Fukuyama à Huntington. Moi, j'étais un tenant du choc des civilisations déjà à cette époque. Il y avait déjà une ligne de partage. Elle est très claire. J'ai toujours pensé que le tragique faisait l'histoire, que l'histoire faisait le tragique et que l'histoire, elle, était tragique. Il suffisait de très peu de choses pour renverser des alliances. Pour faire de telle sorte que les amis du jour deviennent les ennemis du lendemain, qu’éventuellement les ennemis d'hier deviendraient les amis et que ça se passe comme ça dans la vie pour tout le monde et que ça se passe aussi comme ça avec les peuples, avec les nations, avec les empires. 

C'était la fin de l'histoire, c'était le titre du livre, c'était en même temps la thèse. C'était terminé, les libéraux triomphaient, le socialisme de Mitterrand avait donné son accord pour devenir libéral, donc c'était formidable. Le communisme s'était effondré, les partis communistes n'étaient plus communistes, on supprimait la faucille, le marteau, la dictature du prolétariat, on devenait social-démocrate et puis voilà. 

Moi, je n’ai jamais cru à ça, je me suis dit les choses continuent de bouger, il y a évidemment toujours l'histoire, et je pense toujours que l'histoire, elle est sur des logiques de blocs civilisationnels. Je pensais, je le pense toujours d'ailleurs, que les périls peuvent venir des pays islamiques. Dès qu'un pays musulman dispose de la bombe atomique, il entre dans le club des puissances nucléaires. L'Iran en fait probablement partie. On a vu comment on a traité, ou maltraité l'Irak, etc. 

Enfin, il a fallu détruire le bassin méditerranéen, je me souviens quand j'étais auteur chez Grasset que j'avais des leçons de géostratégie de Jean-Paul Enthoven qui, avec Bernard-Henri Lévy, portait ce genre de thèse nous expliquant que les États-Unis avaient décidé de redessiner le monde et qu’on allait exporter la démocratie là-bas et que tout aller bien se passer et que j'étais du côté de Le Pen que j'étais du côté de l'extrême-droite et que je n'avais pas compris le sens de l'histoire. 

Il suffisait de faire tomber Saddam Hussein pour que la démocratie surgisse. Il suffisait de faire tomber Kadhafi pour que la démocratie surgisse. C'était formidable parce que la démocratie, c'était une espèce de divinité qui arrivait parce qu’elle était portée par le marché et puis voilà. Donc, moi, je n’ai jamais cru que le feu était éteint. J'ai toujours pensé qu'il y avait des braises et qu'il suffisait de peu de choses pour que ça redémarre. 

Bien évidemment que si on veut penser aujourd'hui la question du conflit en Ukraine, il faut penser en termes de civilisation aussi. Alors, on va dire tout ça, c’est le christianisme… Mais ça, ce sont les crétins qui pensent que c'est le christianisme. Ce sont les christianismes. L'Eglise d'Ukraine n'est pas l'église orthodoxe qui n'est pas le christianisme. Le christianisme, ce n’est pas le catholicisme ni le protestantisme de l'Europe du Nord. Donc nous sommes nous aussi dans ce bloc civilisationnel chrétien, travaillé par des façons différentes d'être chrétien. Il faudrait, pour ce faire, travailler la question des conciles, mais plus personne ne s'intéresse à ça. 

J’ai chez moi une histoire des conciles qui fait une quinzaine de volumes, c'est extrêmement intéressant de voir comment on s'intéresse aux questions de sur les uniates, les monophysites, les ariens de l'arianisme pas les aryens d’Adolf Hitler bien sûr. Tout ça, crée des blocs de civilisation dans des blocs de civilisation. Donc, je pensais qu’il y avait une vraie opposition dans l'Occident, et même en Europe, entre Poutine qui très tôt, a proposé une alliance avec l'Europe en disant « faisons une Europe de l'Atlantique à l'Oural », c'est la mienne. Et l'Europe libérale qui dit « oui si vous venez chez nous on vous accueille mais vous n'allez tout de même pas avoir la prétention vous, petits pays effondrés de nous dicter notre conception de l'ordre l'Europe c'est le marché c'est l'argent c’est le business » si vous êtes dans ce club-là bien sûr vous pouvez, sinon non. 

 

[…] 

 

[Régis Le Sommier] : Sur la question religieuse, je parle de l'Europe occidentale et en particulier de la France où quelque part, peu ou prou, Dieu est mort, et nous sommes dans le sacre de l'individu absolu. Est-ce que cette vision occidentale que nous avons, qui est liée aux intérêts marchands comme vous l'expliquez, ne nous rend pas difficile la compréhension de ce qui se passe à l'Est ? Je parle à la fois de l'Ukraine et de la Russie, c'est-à-dire plongé dans des pays et civilisations où la religion et le collectif ont encore une signification. 

[Michel Onfray] : Oui. C'est vrai qu’il y a une déchristianisation en France en 1793, et qu’il y avait encore un christianisme qui faisait la loi jusqu'au Vatican II. Et puis, il y a eu des moments historiques dans l'histoire de France ; comme la loi Veil par exemple ou avant avec la loi Neuwirth, la possibilité de la contraception, de la pilule, de l'avortement, on commence à avoir des lois anti-chrétiennes. A l'époque du général De Gaulle, madame De Gaulle ne veut pas admettre un homme divorcé dans le gouvernement parce qu'il est divorcé. 

Nous en sommes actuellement à la possibilité pour des hommes de se marier entre eux et d'acheter des enfants ou de louer des utérus. On a quand même changé une civilisation, parce que le christianisme faisait encore la loi jusque dans les années 70-80 et il a cessé de faire la loi avec tout ce qu'on voit aujourd'hui, tout le wokisme. Donc il y a dans l'Europe, deux façons d'être européens. Il y a une façon effectivement, on dira orientale et une façon occidentale. 

Il y a du côté de l'Est Orthodoxe une façon de considérer que Dieu n'est pas mort et un certain Dieu évidemment. C'est le Dieu de la théocratie, ce n’est pas le Jésus sympathique qui est gentil qui pardonne les péchés, etc. C'est pas du tout ça. C'est une transcendance. Il y a une verticalité. Si la politique existe, c'est parce qu’un cran au-dessus, il y a le clergé, qui lui-même entretient une ligne directe avec la divinité, et donc y a des choses qui ne sont pas possibles comme le mariage homosexuel. On continue une politique de natalité, on n'est pas forcément contre l'avortement ou contre la contraception, mais on limite. On garantit que ça se passe dans certaines circonstances, certaines occasions. 

Quand arrive la gestation pour autrui, la location des utérus, on voit effectivement qu’il y a une ligne de partage. Donc, il y a un Occident, mais dans cet Occident de la même manière que je le disais tout à l'heure pour l’Europe, il y a des blocs dans un même bloc. Il y a un bloc un bloc américain en Occident qui est constitué pour le coup de l’Europe de l'Ouest. On ajoute l'Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis, le Canada et ça fait un certain type de l'Occident. Nous sommes la vieille Europe et cette vieille Europe, elle est complètement tournée vers les États-Unis et les États-Unis pour le coup, c'est la côte Ouest si on veut vraiment faire de la civilisation. 

Ce qui se passe aux États-Unis, c'est plus du tout ce qui se passait à New York jadis avec des intellectuels très francophiles et francophones très tournés vers l'Europe. C’étaient des migrants qui venaient d'Europe et qui avaient fabriqué les États-Unis, mais ça s'est déplacé vers l'Ouest et ce qui se passe actuellement aux États-Unis, c'est plutôt du côté de la côte ouest en Californie. 

Je pense que Los Angeles et San Francisco sont en train de fabriquer un transhumanisme et que c'est la civilisation de demain. Hélas. Cette civilisation de demain, des gens disent, « on ne veut pas ». Ces gens, c'est Poutine. Ce sont des gens qui refusent au nom du christianisme. On voit bien ce qui oppose aujourd'hui l'Ukraine et la Russie. Ce sont deux façons d'être européens. Une façon russe qui serait pour le coup chrétienne, peut être judéo-chrétienne, enfin de toute façon théocratique. Et puis d'une façon très occidentale. On oublie que L'Ukraine, c'est le lieu où on a fait un maximum de gestation pour autrui. C'était la capitale de la gestation pour autrui planétaire donc ce sont 2 mondes qui s'opposent aussi sur cette sur cette ligne-là. 

 

[…] 

 

[Régis Le Sommier] : J'en viens maintenant à un autre front. Un front français avec la question de l'Ocean Viking qui a monopolisé l'actualité avec l'accueil de ce bateau à Toulon. Vous qui êtes un homme de gauche à la base, vous approuvez la décision de la France d'accueillir ce bateau ? 

[Michel Onfray] : Enlevez « à la base », je le suis toujours. Je suis toujours d’une gauche souverainiste, une gauche populaire, voire populiste moi, je n'ai pas peur du mot. Je suis d'une gauche qui n'a pas oublié le peuple et qui au contraire a le souci du peuple. 

Je pense simplement que ce bateau, c'est l'arbre qui cache la forêt. C'est-à-dire que depuis 1992, il y a une vraie politique immigrationniste en France. Il y a quand même un truc très étonnant sur cette prétendue gauche là, Mélenchon et de quelques autres qui pensent la même chose que le Medef. Ça c'est drôle, Geoffroy Roux de Bézieux et Jean-Luc Mélenchon pensent la même chose sur l'immigration. Également sur le fait qu’on doit pouvoir détruire la France, le pays, la nation et sa culture. Macron le pense aussi. 

C'est de la force de travail, ces gens-là sont des négriers. Je veux dire que Mélenchon est un négrier. La France insoumise est négrière, la NUPES est négrière, de la même manière que le Medef est négrier. C'est à dire qu’on dit : « vous êtes des passeurs, vous prenez de l'argent à des gens, c'est à dire vous êtes esclavagiste. » Vous allez chercher des gens dans leur village et vous leur dites « vous me donnez 10 000 € puis je vous assure d'une traversée ». Ça s'appelle des négriers. Cette fameuse gauche là, nous dit : vive les négriers ! Aidons les négriers à faire de telle sorte que quand on transporte ces individus dans la méditerranée, on dise : « ohlala ils sont en péril, le bateau a failli couler, il faut absolument qu'on les accueille » et puis à un moment donné, on leur dira « on leur donne des papiers, on les accueille, on leur donne de l'argent, on leur donne des Nike, on leur donne des téléphones portables, puis on leur dit venez, vous êtes ici chez vous, etc. ».

Retrouvez ici l'entretien complet sur la chaîne YouTube d'OMERTA.

La rédaction d'OMERTA

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