Société

Mécanique du chaos : coulisses statistiques et décryptage

Pendant des mois, nous n’avons eu de cesse de décrypter les ressorts implacables qui ont amené le sujet de la sécurité à devenir angulaire dans l’agora publique française. Il est constamment débattu, pris en tenaille entre les thuriféraires du sécuritaire à-tout-va, les relativistes aveuglés et les jeteurs de braises professionnels. Sur les plateaux, dans les troquets et les assemblées, le besoin élémentaire de sérénité a conditionné les discussions et les débats. Le constat d’une fracture, territoriale, culturelle et économique a infusé les esprits au point, parfois, de monopoliser les antennes. 
 
Dans cette série documentaire, plusieurs paliers d’analyses ont été élaborés. D’abord, nous avons souhaité permettre au spectateur d’identifier, de définir la violence par la parole d’experts et de témoins directs. Dans un second temps, les manifestations de cette violence seront passées au crible par des policiers, des anonymes et d’anciens militants radicaux politiques. 
 
Nous avons avant tout cherché à identifier les motifs qui amènent des individus à passer à l’acte, ou au contraire, ce qui les brime dans leur frénésie. Les racines du « sentiment d’insécurité » sont plurielles et répondent à des logiques individuelles, spontanées mais aussi collectives et inconscientes. 
 
Responsabilités politiques, prédispositions psychologiques, pression de l’environnement et engrenage délinquant : tous les alibis qui expliquent les passages à l’acte y sont recensés et décryptés. Ce sujet, que nous estimons d’intérêt général, s’imposera irrémédiablement à la société française. Pour OMERTA, nous avons souhaité rendre compte au public d’une réalité tangible. 
 
Éclaircir pour mieux saisir 
 
L’expertise d’un criminologue semblait indispensable pour comprendre les germes d’une violence gratuite, d’une filouterie généralisée et d’un manque profond de respect de l’autorité. Xavier Raufer, criminologue chevronné, situe son domaine d’expertise à la frontière de l’anthropologie et de l’étude des schémas mentaux. La violation des lois, les bascules psychiques et les tendances criminelles n’ont plus vraiment de secret pour lui. 
 
Arpentant les cinq continents à la rencontre de toutes les mafias, cartels, groupements terroristes et autres congrégations criminelles, il a pu identifier une vie durant les phénomènes de délinquances à l’œuvre dans les sociétés humaines. La violence de l’homme constitue un caractère intemporel. Chaque bascule historique, chaque renouvellement politique et tous les bouleversements sociétaux drainent avec eux les dérives inévitables de l’être humain. Revenant sur le massacre de la Saint-Barthélemy, la Terreur jacobine, les conquêtes napoléoniennes et les charniers des grandes guerres : il dépeint un portrait intrinsèquement belliqueux de l’âme humaine. 
 
Là est son propos. Parce que la violence existe, elle doit être canalisée voir sacralisée par des rites collectifs. Sans prêcher le retour des sacrifices humains et la lapidation de martyrs, il incombe néanmoins aux sociétés humaines de réprimer ce besoin d’écraser l’autre. Pour Xavier Raufer, l’un des péchés originels serait d’avoir décapité le Roi, cette figure tutélaire qui concentre à la fois les pouvoirs mais aussi la responsabilité de tout une population en demande de transcendance. Notre monarchie républicaine, instituée par le Général de Gaulle, tendait à assurer cette alliance tacite entre le sacré et l’acte politique. 
 
La délinquance des mineurs constitue le symptôme le plus flagrant d’une détérioration de la situation sécuritaire française. Si, à la racine, ceux que Jean-Pierre Chevènement appelait « les sauvageons » sont insuffisamment soumis à une autorité parentale et scolaire, alors ils se retrouvent à la merci de leurs désirs, et souvent, d’une violence irrépressible. Les données fournies par Bruno Aubusson de Carvalay, chercheur au CESDIP sont éloquentes. En 2019, les 15-19 ans caracolaient en tête des tranches d’âges mises en causes par les services de sécurité, et ce dans diverses catégories criminelles. Ces données, élaborées au terme des années 2010, connaissent une croissance tendancielle. Entre 1974 et 2010, les mineurs reconnus responsables d’infractions sexuelles sont passés de 8% de l’effectif à plus de 25%. Concernant les coups et blessures volontaires, de moins de 2% à 19% des coupables. Enfin, le rapport à l’autorité s’est également dégradé. De près de 2% des mis en causes pour des « outrages et des violences à agents d’autorité publique », ils représentent de nos jours 24% des délinquants. Son homologue Raufer établit à peu près le même constat. Il attribue cette surreprésentation croissante d’un public juvénile dans les catégories criminelles à des motifs psychosociaux. La frustration éprouvée lorsque l’on ne dispose pas du vocabulaire suffisant, l’exposition à des modèles parentaux défaillants et violents, la capacité à se projeter dans l’avenir sont autant d’éléments qui conditionneraient le passage à l’acte délinquant de pans entiers de la jeunesse. 

Source : SSMI – Bases et données de la délinquance et de la criminalité enregistrées par les services de gendarmerie et de police

Laurent Obertone, lui, est « journaliste repenti » comme il se plaît à ironiser. Désormais essayiste, sa discipline intellectuelle l’a amené à observer, depuis des dizaines d’années, les ressorts de la barbarie qui tend à se banaliser en France. En recensant les faits divers, en analysant leurs fréquences et leurs dénominateurs communs, il a établi un panorama quasi-exhaustif des racines de la criminalité à la française. 
 
Les enseignements de la sociologie américaine sur les conditions de la concorde entre les membres d’une même communauté, les pathologies psychosociales dont souffrent une part croissante d’individus, l’incapacité à formuler ses envies, les attentes différées dont de nombreux jeunes souffrent : ces faits générateurs expliquent, pour nos intéressés, l’implantation d’une violence endémique sur le sol de France. 
 
 
Une réalité statistique 
 
Le simple fait que les pouvoirs publics aient estimé que des statistiques allaient être nécessaire pour mesurer le degré de sérénité de ses citoyens scellaient leur échec à maintenir une certaine cohésion dans la société. De Pierre Joxe à Jean-Pierre Chevènement, en passant par Charles Pasqua, Nicolas Sarkozy et Gérald Darmanin : une myriade de ministres se sont succédé pour tenter de juguler la folle course aux violences contre les biens et les personnes. Le premier jalon fut posé en 1972 à l’époque de Jacques Chaban-Delmas.  L’« État 4001 » est devenu l’outil de mesure le plus fiable de l’état de la délinquance et de la criminalité. Il recense l’ensemble des infractions, délits et crimes commis dans la société française. 
 
Empiriquement, la criminalité, constitue la violation extrême des interdits de la société. Ces violations, depuis 1945, connaissent une croissance exponentielle. Ce taux est calculé en rapportant le nombre de crimes et des délits constatés par les forces de l’ordre et la population générale. En effet, une amère courbe statistique affirme que la France connaît, depuis le début des années 1960, une augmentation durable et croissante des faits de délinquances du quotidien, allant de l’acte de vandalisme à la violence gratuite la plus barbare. 
 

Source : ministère de l’Intérieur - SSMI

Les impressions reposent nécessairement sur des expériences vécues ou des anecdotes entendues. Un baromètre IPSOS publié en septembre 2022 nous apporte quelques pistes d’analyses. D’abord, le sentiment que la violence augmente tendanciellement touche près de 87% des Français. Ces craintes se matérialisent dans trois domaines : les agressions physiques (43%) dans l’espace public, les effets délétères du trafic de drogue (26%) et le vandalisme (21%). 

Source : Baromètre IPSOS –Septembre 2022

À l’époque, on ne se posait à peine la question du poids de la sécurité tant ces phénomènes étaient résiduels. Néanmoins, quelques décennies après l’élaboration des premières données, on assiste à une évolution exponentielle des coups et blessures volontaires, encore une fois ceux recensés, et qui dressent un sombre constat de la violence endémique qui survient en France. 
 
Selon les données de l’ONDRP, un organisme statistique déployé en 2004 puis supprimé par la mandature Philippe en 2020, plus de 1900 agressions gratuites, 500 viols, 105 attaques au couteau étaient quotidiennement recensées. Ces données étaient probablement sous-estimées au regard du nombre de plaintes non déposées, soit par peur des représailles, soit par manque de confiance dans les mécanismes judiciaires. 
 
Les homicides, eux, progressent sournoisement alors même que la médecine d’urgence a permis, en trente ans, de réduire drastiquement le décès de patients admis après des fusillades, des rixes ou des violences. Car oui, généralement déployé pour contrer l’argument de l’explosion de la violence en France, certaines formations politiques et associatives mettent en lumière la diminution massive des homicides. Cela s’explique par le perfectionnement de la prise en charge des victimes et de la modernisation de la médecine d’urgence. On ne meurt plus d’un coup de couteau, ni d’un coup de feu. Les tentatives, elles, explosent quand elles ne sont tout simplement pas relevées. 
 
En dépit de ces progrès hospitaliers, entre 2011 et 2020, les tentatives d’homicides sont passés de 1203 à 3360 et, pour celles qui ont réussi, de 856 à 1026. Ajoutons à cela les menaces et les injures qui s’élèvent respectivement à près de 4100 et 11 500 par jour. Ce brumeux sentiment d’anxiété - d’insécurité permanente osera-t-on avancer – fait peser sur le quotidien des citoyens honnêtes un poids estimable. 

Source : Étude de l’homicidité – Observatoire National de la Délinquance et de la Réponse Pénal

L’augmentation de l’effectif carcéral dénote également d’une aggravation du tissu social et de la concorde qui, jusque-là, le caractérisait. De 20 000 individus en 1957, nous sommes désormais au seuil des capacités avec près de 80 000 en 2021. Successivement, nos Gardes des Sceaux ont fait le choix d’une démocratisation des « peines ouvertes ».  Elles étaient indispensables pour donner au peuple français le sentiment que justice était rendue alors même qu’on ne pouvait concrètement appliquer les peines. Ils représentent 171 000 des 250 000 condamnés par la justice et sont parfois soumis au seul bracelet électronique et à une obligation de pointage au commissariat local. 
 
Dans un rapport publié par le ministère de la Justice en juillet 2021, des éclairages statistiques ont été prodigués sur les conditions de récidives des prisonniers français. Près de 40% des écroués réitèrent des actes criminels à leur sortie de prison. Ces mêmes détenus récidivent principalement dans les catégories du vol simple et aggravé (43% et 39%), suivis par les auteurs de violences sexuelles (18%) et ceux responsables d’homicides (9%). Toujours parmi eux, 64% ont un niveau collège ou inférieur, 39% sont signalés par les autorités comme addicts aux drogues, aux psychotropes et à l’alcool. Ainsi, un quart d’entre eux bénéficient d’un suivi psychologique ou psychiatrique. La récidive concerne néanmoins davantage les 18-25 ans (55%). Des profils-types se dessinent alors, participants au délitement sécuritaire à la française. 
 
Une autre facette s’ajoute au tableau de la criminalité à la française : celle de la santé mentale. Près de trois millions de personnes qui souffrent de troubles psychiques sévères. Cette vulnérabilité psychique découle évidemment sur l’état de la criminalité violente en France, notamment sur les violences gratuites. Pour Xavier Raufer, ces instabilités pathologiques brimeraient la capacité de certains individus à accepter une vie semblable à une vallée de larmes, à tolérer les carcans que la société nous impose, pour vivre en harmonie. 
 
Reportage à retrouver en exclusivité sur la plateforme d’OMERTA ! 

Paul Beffroy

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Commentaires

Stephen Hurner

Il y a 1 ans

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Intéressant, mais n'aborde pas le cœur du problème qui a deux facettes. La première est la destruction de la Justice avec un J majuscule et la seconde l'impact de l'immigration non-européenne par des pays européens, sans Justice. Depuis que l'homme existe, donc des milliers d'années la violence a toujours existé. L'homme n'a pu progresser que, parce que tout au début, se sont imposés par la force,la violence, des chefs. On retrouve cette facette dans les bandes organisées des villes, soit telles que la mafia ... Etc. Tu transgresses la règle, tu es mort. Au fil des siècles, cette facette fut contenue, canalisée par l'organisation d'une Justice peu en importe la forme. Sans développer ici, il est patent que la France vit depuis des années avec une Justice moribonde, détruite par le manque de vision des hommes politiques et pourrie par une idéologie qui s'occupe plus des coupables que des victimes. La Justice doit être rapide, punitive, protéger la société et ensuite chercher à réintégrer. Un monde où la transgression qu'est l'acte violent n'est pas sévèrement ni rapidement punie s'autodétruit en basculant dans un enfer de violence jusqu'au moment où un chef s'imposera par la force. L'immigration folle voulue par l'Union européenne depuis une vingtaine d'années (Union qui n'a jamais voulu une assimilation, mais une intégration) soutenue par Monsieur Macron se déroule ainsi dans un cadre sans Justice avec comme facteur aggravant la ghettoïsation de ces migrants. L'absence de volonté d'assimilation couplée avec la création d'îlots de pays étrangers en France eut pour effet que trop de ces nouveaux arrivants ne vivent pas dans la société (voir note) qui les accueille. Une des preuves en est que, par exemple, la majorité d'Africains se comportera sans violence "anormale" dans leur pays natal alors qu'en France cela sera moins le cas puisqu'ils n'y sont plus "en société" ni dans un cadre ou règne une Justice. Pour ceux des migrants pour qui la violence, surtout vis-à-vis des femmes, est coutumière leur arrivée en France interpelle. Vous faites parler Laurent Obertone en ne mentionnant pas que son livre Guerilla, surtout la première centaine de pages, décrit remarquablement ce phénomène. Note: Selon le dictionnaire de l'Académie française, "société" se définit comme "1. État d’individus vivant ensemble selon une organisation régie notamment par des lois, des conventions, des usages communs. 2. Groupe de personnes associées pour quelque intérêt, quelque affaire et organisées suivant un cadre juridique officiel". Vous retrouvez dans ces deux définitions les mots 'vivre ensemble', 'usages communs' et 'associées'.

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