Société

Mayotte : l’opération « Wuambushu » est lancée

Parmi les statistiques désolantes de l'INSEE, le niveau de vie médian est révélateur de l'état de délabrement croissant du 101e département français.

Un département au bord du gouffre

Ils sont chaque jours 80 Comoriens à débarquer sur Mayotte, malgré les radars, les patrouilles nautiques et aériennes. Au premier trimestre, sur les 260 « kwassas kwassas » détectés (des petites embarcations motorisées), seuls 67% d’entre eux ont pu être interceptés. Pour tenter d’empêcher la déferlante, les Mahorais en sont parfois réduits à surveiller les plages eux-mêmes. Le reste vient rejoindre les « bangas » (habitations) dans des quartiers délabrés où s’entassent les nouveaux arrivants. Malgré des mineurs scolarisés, ces quartiers surpeuplés déséquilibrent les modestes ressources (et infrastructures de l’île déjà pauvre en comparaison de la métropole, et sont en sus la source d’une « délinquance hors normes ». 

Mayotte n’avait pas besoin de ça. Pour rappel, 77% de la population vit sous le seuil de pauvreté, et seul 30% des habitants en âge de travailler ont effectivement un emploi. Près de la moitié des 350 000 habitants estimés sur l’île ne possède pas la nationalité française, selon l'Insee, tandis qu’un tiers des étrangers présents y sont nés.

« Mayotte abrite le plus grand bidonville d'Europe ». Au micro d’RTL, Ces mots d’Estelle Youssoupha, députée centriste de Mayotte, ne sont pas choisis sans raison. Elle alertait en janvier dernier sur un département « au bord de la guerre civile », tandis que le ministre de l’Intérieur annonçait « pérenniser la présence du Raid » ; « un début » selon elle, mais toujours insuffisant. 


« La démographie est importée »


Les vannes aspirantes fonctionnent encore pour les Comoriens, mais aussi pour de plus en plus d’Africains et Malgaches, qui ont très bien compris comment fonctionne le filon français du regroupement familial : « Lors des expulsions, les mères disent qu'elles n'ont pas d'enfants et laissent derrière elles des mineurs isolés. Mais à Mayotte, parce que ces enfants sont potentiellement régularisables en citoyens français, leurs parents reviennent lorsqu'ils atteignent la majorité pour obtenir le regroupement familial », disait encore la députée. Sur l’île, où la moitié de la population a moins de 17 ans, le constat est sans appel : « La croissance démographique est importée ». Un problème qui pour certains n’en est pas un, car le véritable enjeu serait de régulariser le plus vite possible ces « futurs cotisants », et l’affaire serait pliée. Pas si simple.

le Parlement votait en 2018 une limitation du droit du sol sur l’île. Pour obtenir la nationalité, les enfants doivent être nés de parents résidant régulièrement sur le territoire depuis au moins trois mois. Le sénateur Thani Mohamed Soilihi à l’origine de la loi voulait contrer la situation migratoire « insupportable et exceptionnelle » qui pourrissait déjà depuis deux décennies. « Il y a tellement de naissances dans l’hôpital de Mayotte que pour relever le défi de la scolarité, il faudrait ouvrir une classe par jour », s’indignait-il à l’antenne de Public Sénat. Un an auparavant, à peine plus d’un mois après son élection, c’est le sourire aux lèvres qu’Emmanuel Macron plaisantait pourtant sur le fait que « Le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien ».

La « reprise » est lancée


Pour tenter de changer la donne, Gérald Darmanin a officialisé ce jeudi la tenue d’une opération au long cours, forte de 2500 personnes mobilisées entre forces de l'ordre, de l’agence régionale de santé et de justice ainsi que des réserves sanitaires. L’objectif est clair : la destruction de « 1000 bangas dans les deux mois ». Les opérations de « décasage » lancées en 2016 manquaient encore cruellement d’ambition au vu du problème, et celle-ci se veut plus musclée.

Le nom choisit « Wuambushu » veut dire « reprise » en mahorais - ou « poil à gratter », mais la portée symbolique ne serait pas la même. L’opération ainsi nommée a été officialisée jeudi 20 avril, mais prévue depuis plusieurs mois. Au total, plus de 2 500 personnels, des forces de l'ordre, de l’agence régionale de santé, de justice et des réserves sanitaires sont mobilisés, d’après une source proche du dossier à l’AFP. De quoi effrayer certaines associations, qui ne subissent pas les actions des bandes armées clandestines.

Les Comores et leurs alliés « humanistes » face à la France


Dans son combat de longue haleine contre la France, les Comores ont trouvé dans les associations « humanistes » des alliés en interne, militants et rodés à la chose. Depuis leur indépendance en 1974, le pays revendique toujours la possession de Mayotte restée française, et les tensions s’aggravent encore ces derniers mois, même si Gerald Darmanin a assuré que « la France travaille très bien » avec les Comores, et que « tous les délinquants comoriens seront renvoyés » dans leur pays. Il faisait notamment référence à l’engagement des Comores à « coopérer » avec Paris sur le sujet, moyennant la modique aide au développement de 150 millions d’euros. Ce qui n’a pas empêché le ministre de l’Intérieur comorien de prévenir le 21 avril que « mon gouvernement n’acceptera pas d’expulsions ».

Le gouverneur de l’île comorienne d’Anjouan, la plus proche de Mayotte, accuse même l’Etat français d’être responsable d’à peu près tous les problèmes actuels sur Mayotte : « Nous n'avons pas les moyens d'absorber cette violence fabriquée de Mayotte par l'État français. Une situation aussi complexe ne peut se régler de manière aussi déroutante ». De son côté le président comorien Azali Assoumani a déclaré à l’AFP qu’il espérait que « l’opération soit annulée », tout en confessant n’avoir « pas les moyens de la stopper par la force ». 

Les associations comme la Ligue des droits de l'Homme coulent dans la même veine, et déplorent que « la France place ainsi des mineurs dans des situations de vulnérabilité et de danger intolérables ». Elles n’ont pas obtenu plus de succès pour maintenir le statu quo, surtout quand les habitants et les autorités de l’île exsangue réclament ce genre d’opération depuis des années.

Pour le moment, les gendarmes de l’opération Wuambushu contrôlent les grands axes routiers, et certains affrontements avec les clandestins visés ont déjà éclaté dès l’arrivée de CRS sur le terrain, mais sont désormais maîtrisés. L’évacuation des bidonvilles en tant que telle devrait démarrer mardi. 

Alexandre Cervantes

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