Politique

Le Qatargate, symptôme d’une Union européenne impuissante face à la corruption

 
Le « Qatargate » a secoué l’institution, mais ses murs n'en sont pas au premier séisme. L’Union européenne a connu le « Caviargate » de 2017, une affaire de corruption diligentée par l’Azerbaïdjan. Un cas semblable, pour une même non-réponse ? Les réformes se font attendre. La vénalité de l’eurodéputée socialiste Eva Kaili et de son réseau de bénéficiaire de billets qataris, aurait-elle pu être anticipée ? Cinq ans après les opérations de séductions de l’Azerbaïdjan, force est de constater que le Parlement européen n’est toujours pas équipé pour prévenir les tentatives de corruption d’ordre étatique. Avec le « Qatargate », c’est la probité de l’Union européenne qui se trouve mise à nu. Laxisme ? Naïveté ? Le tremblement de cette institution modèle des vertus démocratiques a de quoi interroger sur sa capacité à faire face à un défi plus que prévisible : la corruption. Au niveau national, la connivence peut être freinée par le sentiment d’appartenance à un pays qu’on ne voudrait pas trahir, mais dans une institution supranationale comme l’Union européenne, la culpabilité s’amenuise. Surtout si elle reste impunie. 
 
Il convient de distinguer la démarche des lobbys de celle qui pousse les États à corrompre. On tomberait trop facilement dans une critique du parlementarisme européen, qui se nourrit naturellement de la participation des groupes d’intérêt aux débats. Il s’agit là d’acteurs privés dont les interventions font parties du fonctionnement normal des institutions européennes, bâties sur la conviction libérale que la mise en concurrence des intérêts aboutit à des prises de décisions équilibrées. Cependant, l’influence des États ne s’exprime pas toujours de façon aussi grossière que par des valises à billets. De telles manœuvres mises au grand jour suscitent une posture de rejet immédiate et les personnes concernées sont désavouées. Le sujet devient plus délicat lorsque les lobbys interagissant avec le Parlement européen sont en fait financés ou soutenus par des acteurs servant des intérêts étrangers. 
 
Les « corruptions ordinaires » au Parlement européen 
 
 L’article du directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), Grégor Puppinck, rappelle les multiples « corruptions ordinaires » qui ont cours au Parlement. Il cite la « fraude aux per diem, consistant, pour un député, à ne pas déclarer sa résidence à Bruxelles pour percevoir les 300 euros d'indemnités de voyage par jour de présence au Parlement ». Une somme qui peut aller jusqu’à 6 000 euros par mois ! Il y a aussi les « embauches croisées », permettant à un député de recruter les proches d’un autre « afin de contourner l'interdiction du népotisme ». Grégor Puppinck décrit également le phénomène de la « porte tournante », qui consiste « pour un politique, à devenir employé du secteur qu'il a précédemment réglementé, voire à préparer ce recrutement en rendant service à son futur employeur ». Et de prendre pour exemple le cas de José Manuel Barroso, ancien chef de la Commission Européenne (2004 – 2014), qui fut recruté chez Goldman Sachs en 2016… Il est loin d’être le seul. Rien d’illégal dans son cas, puisqu'après un délai de 18 mois après la fin de leur mandat, les anciens membres de la Commission n’ont plus à rendre des comptes. En 2016, les critiques dénonçaient une Europe qui « ne sert pas les peuples mais la grande finance », selon l'expression de Marine Le Pen. Même son de cloche à gauche, où José Manuel Barroso est décrit comme le « représentant indécent d'une vieille Europe » par le socialiste Matthias Fekl, alors secrétaire d'État français au Commerce extérieur.

Un cadre pour le lobbying au Parlement européen 
 
On est tenté d’utiliser le Qatargate pour faire le procès du processus d'influence sur les députés européens et plus largement du lobbying. Les lobbys sont pourtant tenus de jouer cartes sur tables. Le Parlement européen assume pleinement de s’appuyer sur ces groupes d’intérêt pour faire avancer les causes, il ne peut donc qu’exiger de leur part la plus grande transparence sur leurs activités. Qu’entend-on par « lobbying » ? La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique retient la définition suivante pour qualifier les lobbys au niveau européen. Ils correspondent à « toutes les activités menées dans le but d’influencer les politiques et les processus de décision des instruments de l’Union, quel que soit le lieu où elles sont réalisées et quel que soit le canal ou le mode de communication utilisé ». Reste à donner le cadre juridique de leur action. 
 
L’Union européenne a adopté une stratégie incitative encadrer ces activités. Depuis 2011, les lobbies doivent s’inscrire au registre de transparence de l’UE pour être accrédités. Y sont répertoriés toutes les dépenses des lobbys visant à défendre leurs positions. Ces documents sont publics et tout le monde peut contrôler qui fait quoi dans ce grand marché des intérêts privés. Chaque institution européenne ajoute ses propres dispositifs de contrôle. Un code de conduite régit en sus les rapports entre les parties. Les députés sont ainsi tenus de rendre publiques leurs entrevues avec les représentants des groupes d’intérêt, comme le prévoit la législation européenne pour la transparence. Il dispose par exemple que « le personnel du Parlement européen ne peut accepter de cadeaux ou de faveurs de tiers sans autorisation préalable, à moins que la valeur des cadeaux soit inférieure à 100 euros, ou à 300 euros au total sur l’année ». 
 
Manque de contrôle : « seuls 15 eurodéputés sur 751 ont rempli le registre » 
 
Mais cet engrenage serait caduc sans coercition. C’est là le rôle de l’Office Européen de lutte antifraude (OLAF) qui doit scruter les activités des plus de 700 eurodéputés… parfois sans succès. Il arrive par exemple régulièrement que les députés ne déclarent que partiellement leurs entrevues avec les lobbyistes, ou qu’ils acceptent des cadeaux dont la valeur est supérieure aux 300 euros annuels autorisés. Mais comme le révèle une enquête de nos confrères de France Info, datant de 2020, le registre de public de la VIIIe législature (2014-2019) ne mentionne que de 74 déclarations de cadeaux reçus. « Seuls 15 eurodéputés sur 751 ont rempli le registre », relate l’article. Pour endiguer le phénomène, l’ONG allemande Transparency International propose de créer une haute autorité indépendante qui pourrait mener les vérifications et les sanctions. 
 
Au sujet du « Qatargate », il a fallu que l’enquête soit menée par la justice belge, qui agissait de bons droits sur son sol, pour l’affaire éclate au grand jour. La confiance dans l’institution se trouve fragilisée : combien de scandales étouffés pour un révélé ? Pour regagner sa crédibilité, il est temps que l’Union européenne se dote d’un système de lutte anticorruption convaincant.

Mayeul Chemilly

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Commentaires

Véronique SAVEY

Il y a 1 ans

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