Géopolitique

[Éditorial] Attaque de l’Iran contre Israël : le monde retient son souffle…

C’est d’abord en arraisonnant un navire portugais, le « MSC Ariès » (dont l’armateur est lié à Israël) directement par un commando des gardiens de la révolution dans le détroit d’Ormuz, que Téhéran a riposté. Ensuite, ce sont des drones par centaines, puis des missiles sol-sol, puis des missiles de croisière tirés dans la nuit de samedi à dimanche depuis son territoire, une première, que les Iraniens ont attaqué Israël. Une opération d’importance, inédite depuis la création de la république islamique, mais calibrée et n’appelant pas à être poursuivi selon Téhéran.

La menace d’une opération iranienne ciblant Israël avait été jugée imminente par les Américains qui, comme pour l’invasion de l’Ukraine, ne se sont pas trompés. Peu après le début des frappes, les gardiens de la révolution iraniens les revendiquaient. Téhéran a choisi l’escalade. Pourtant, l’Iran sait qu’il ne pourra pas gagner contre l’État Hébreux. Mais il en allait de son rôle leader dans la région après avoir vu pas moins de vingt hauts gradés de ses pasdarans éliminés de façon ciblée par Israël depuis le 7 octobre et l’attaque du Hamas. L’Iran a donc choisi de sauver sa crédibilité plutôt que de déléguer sa riposte, comme il le fait habituellement.

C’est le 1er avril que tout s’est joué du point de vue iranien. En milieu d’après-midi, des détonations puissantes retentissent dans le quartier résidentiel de Mazzeh à Damas. L’endroit abrite de nombreuses ambassades mais aussi, sur la colline qui le domine, le palais présidentiel de Bachar el Assad. Les F-35 israéliens n’y sont pas allés de main morte. Pas moins de six missiles ont été tirés. Transformé en gravats, du bâtiment visé, il ne reste que la porte d’entrée demeure avec, accrochée, la pancarte « section consulaire de l’ambassade d’Iran ». Et cette qualification précisément interpelle. Elle pose un problème au regard du droit international… 
L’attaque fait onze morts dont sept gardiens de la révolution iraniens. Parmi eux, deux hauts gradés de la Force Qods, la branche des pasdarans à l’étranger, le général de brigade Mohammad Reza Zahedi et Mohammad Hadi Haji Rahimi. Zahedi est emblématique car c’est lui qui a le plus conseillé Bashar El Assad au début du soulèvement en 2011. Sa mort représente le plus sérieux revers pour les pasdarans depuis celle de Qassem Soleimani, tué par une frappe de drone américaine en 2020.

Les raids israéliens en Syrie, c’est déjà de l’histoire ancienne. En novembre 2019, lors d’un reportage, mon avion avait atterri à l’aéroport de Damas sous un orage de feu, alors que la DCA syrienne ripostait à des frappes visant déjà des bâtiments occupés par le Iraniens et le Hezbollah. Les habitants de la capitale syrienne ont pris l’habitude de ces attaques souvent nocturnes. Fin mars 2024, ce ne sont pas moins de cinq frappes qui ont visé des groupes pro-iraniens présents sur le sol syrien. Depuis le 7 octobre, les attaques se sont multipliées. Au risque d’élargir le conflit, Tsahal veut affaiblir au maximum l’Iran qu’il considère comme le principal bailleur de fonds du Hamas.

Benjamin Netanyahou ne fait pas mystère depuis longtemps de son souhait d’attaquer l’ennemi perse. « La seule chose qui a empêché de manière fiable les États voyous de développer des armes nucléaires est une menace ou une action militaire crédible disait le Premier ministre israélien en février 2023 à la tribune des Nations Unies. Cela peut être combiné avec des sanctions économiques, mais ce n'est pas une condition suffisante. Une condition nécessaire, et souvent suffisante, est une action militaire crédible ». C’est d’autant plus d’actualité que le même Netanyahou est encore plus porté aujourd’hui à intervenir. Sa situation personnelle au regard de la justice de son pays est une motivation supplémentaire. En effet, si la guerre s’arrête, « Bibi » pourrait très bien être jugé et finir en prison. L’attitude d’Israël depuis le 7 octobre n’est bien sûr pas uniquement dictée par l’agenda personnel de son Premier ministre. L’attaque du Hamas a mis à mal l’invincibilité de Tsahal et convaincu beaucoup d’Israéliens qu’ils font face à un défi existentiel de la part du groupe terroriste. Mais les affaires de Netanyahou et surtout, le fait qu’il s’est allié dans son gouvernement avec des personnages comme Itamar Ben Gvir, soutien numéro un des colons en Cisjordanie, mettent le pays sur une trajectoire belliqueuse, le poussant à s’écarter du droit international.
La nouveauté en effet réside dans le fait que, le 1er avril, Israël a délibérément foulé aux pieds la convention de Vienne de 1961 en visant une ambassade qui jouit d'une immunité totale. Cette attaque intervient dans un contexte où l’Iran précisément a, depuis le 7 octobre, fait preuve d’une certaine retenue. Si on excepte l’arraisonnage et le ciblage de navires en mer Rouge par les Houthis connus pour être difficilement contrôlables et agissant souvent avec leur propre agenda, Téhéran a jusqu’ici empêché une entrée en guerre du Hezbollah à la frontière Nord d’Israël.
S’il ne reconnaît officiellement pas ces frappes, Israël agit dans un contexte où il a déjà perdu la bataille de l’opinion pour ses actions à Gaza et le coût humain qui en découle. L’État Hébreux mène de plus en plus un cavalier seul où même les Américains, son soutien le plus important, commencent à s’impatienter. Car cette posture agressive se traduit parfois par de fâcheux dommages collatéraux comme cette frappe à Gaza qui a coûté la vie à sept humanitaires de l’organisation « World Central Kitchen », provoquant l’indignation générale et celle de Joe Biden en particulier. José Andrés, le célèbre cuisinier qui a fondé « World Central Kitchen » est en effet un ami personnel du président américain et il semble bien que le convoi humanitaire visé était parfaitement repérable. Tout cela vient s’ajouter à l’objectif répété par Benjamin Netanyahou, contre l’avis de l’ensemble de la communauté internationale, d’une invasion de la ville de Rafah où se trouvent entassés la plupart des déplacés de la bande de Gaza.

De leur côté, les Iraniens savaient parfaitement qu’Israël pouvait compter en cas d’attaque sur le soutien indéfectible des Etats-Unis qui ont déployé des moyens militaires dans la région pour les protéger et ce, même si les relations entre Joe Biden et Benjamin Netanyahou se sont sérieusement dégradées en raison de la conduite des opérations à Gaza et du manque de moyens humanitaires autorisés à rentrer dans l’enclave. Au cours de l’attaque, les Américains ont mis leurs moyens militaires, notamment leur aviation et leurs systèmes de surveillance, au service des Israéliens pour éliminer les drones iraniens qui atteignaient le territoire. Les Britanniques aussi. Les Français et les Jordaniens l’ont fait aussi, même s’ils ont choisi de rester plus discrets… Désormais, les alliés font tout pour convaincre Israël que d’avoir détruit 99% des drones et des missiles iraniens est en soit une victoire et qu’une nouvelle riposte pousserait encore davantage l’ensemble de la région vers la guerre totale. Plus que jamais, le monde retient son souffle. 

Régis Le Sommier

Soutenez un média 100% indépendant

Pour découvrir la suite, souscrivez à notre offre de pré-abonnement

Participez à l'essor d'un média 100% indépendant
Accédez à tous nos contenus sur le site, l'application mobile et la plateforme vidéo
Profitez de décryptages exclusifs, d'analyses rigoureuses et d'investigations étayées

Commentaires

Soyez le premier à ajouter un commentaire

À lire

Portugal 1974-2024 : Pour comprendre la Révolution des œillets

Il y a 50 ans jour pour jour, les « capitaines d’avril » renversaient pacifiquement la dictature éculée de Marcelo Caetano sur fond d’une interminable guerre de décolonisation. Au-delà de la question du retour festif de la démocratie dans ce pays, cet évènement doit s’analyser en considérant le sens particulier que revêt l’Histoire dans cette ancienne puissance maritime européenne.

[Éditorial] Nouvelle-Calédonie : le dégel du corps électoral s’impose

Après trois échecs référendaires, les indépendantistes kanaks, soutenus et encouragés par des puissances étrangères, tentent de s’opposer au dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Un jusqu’au boutisme qui s’oppose à la volonté de la majorité des Néo-Calédoniens, soucieux de perpétuer les liens tissés depuis 1853 dans le respect des traditions de cet archipel du Pacifique.

Jeux Olympiques : une douche froide pour les hôtels parisiens

La période des Jeux Olympiques était censée être synonyme de franc succès pour les hôtels. A 120 jours de l’événement de l’année, de nombreuses chambres restent encore inoccupées pour l’occasion. Des prix exorbitants semblent freiner les clients. Les hôtels enclenchent la marche arrière et commencent à baisser leur prix.

CETA : le point sur ce dossier après le rejet du traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada par le Sénat français

Le gouvernement français est gêné aux entournures par le rejet au Sénat du traité de libre-échange entre l’UE et le Canada, déjà entré provisoirement en vigueur et ratifié par l’ancienne Assemblée nationale. Une initiative communiste qui risque fort de revenir en débat fin mai à l’Assemblée nationale par le biais d’une niche parlementaire.

Obus nord-coréens sur front ukrainien : le cadeau de Kim à Poutine

La grande presse l’avait évoqué, OMERTA l’a constaté, ce sont bien des obus fabriqués en Corée du Nord qui ont en partie assuré l’approvisionnement de l’artillerie russe pilonnant les troupes ukrainiennes, comme le raconte Régis Le Sommier dans le quatrième numéro de notre magazine disponible en kiosque dès le jeudi 8 février.

À Voir

Iran : retour d'expérience sur CNews de Régis Le Sommier