Brigitte Bardot, la dernière Gauloise sans filtre

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Lorsque je suis arrivé à Paris Match en 1994, l’une des premières choses que j’y ai apprises, c’est que quand on part sur un sujet et qu’on a déjà le titre, c’est mieux. « La dernière Gauloise sans filtre » résonne parfaitement lorsqu’on évoque Brigitte Bardot. Insolence, transgression et beauté éclatante.

À l’époque donc où j’étais stagiaire, on ne la voyait déjà presque plus. Elle nous donnait encore des interviews fleuves, mais son apparence physique la gênait, en regard de ce qu’elle avait représenté. Ce n’était pas qu’elle refusait la vieillesse. Bardot a été à l’aise dans toutes les époques de sa vie. Ce n’est jamais la vie qui s’imposait à Bardot, ni les autres d’ailleurs, c’est elle qui s’imposait à la vie. Elle se qualifiait de « petite fiancée de Paris Match ». Elle était fière de ce titre qu’elle écrivait sur beaucoup de dédicaces (dont celle qu’elle m’a écrite un jour), d’une écriture d’enfant sage ponctuée de petites fleurs, dans un stylo bleu clair en général. Du rédacteur en chef au coursier, tous à Match avaient participé de la légende Bardot. Même le canapé où s’étaient assises ses célèbres fesses…

Au fil des ans, le journal avait changé d’adresse. Il avait déménagé de la rue Pierre-Charron près des Champs-Élysées à Levallois-Perret, passant d’une avenue de limousines à une ville de chauffeurs de taxis. De même, lorsque j’y ai fait mes classes, les reporters, à quelques rares exceptions près, avaient remisé leurs Aston Martin pour les voitures de monsieur tout le monde. À Levallois, on ne faisait plus la bringue dans les troquets alentour, encore que, même si on y rigolait bien. Les salaires n’étaient plus les mêmes. L’âge d’or de Paris Match avait perdu de sa patine. Mais il restait la légende et Bardot y trônait telle une reine. Le canapé avait suivi. Il datait un peu. Un coursier surnommé « Rouquin » m’avait raconté que c’était là que Brigitte s’endormait en attendant que son premier amour Roger Vadim ne termine son bouclage. C’était une époque où entre les stars et les journalistes, il n’existait aucun filtre. Et lorsqu’une idylle naissait, Roger Thérond, le directeur d’alors, disait, comme s’il s’agissait d’une fatalité : « Il a épousé son sujet. »

Il y avait les couvertures bien sûr. Bardot était sur nos murs, dans les couloirs de Match. Sur les premières, elle n’avait pas seize ans. Mais déjà c’était un monstre de la photographie, Walter Carone, qui l’avait figée dans son objectif. Là aussi BB transgressait les codes. Paris Match en effet découvrait rarement les stars, mais les bénissait. Faire la couverture était et reste une consécration. Sauf pour Bardot. Sur sa première couverture, son nom n’est même pas mentionné. Elle est juste une adolescente pétillante entourée d’un gros titre sur les voyages de Pleven et d’Eisenhower écrits par Raymond Cartier, et d’un autre plus étrange : « Cinq cocktails de légumes pour conserver un teint de jeune fille » signé Gaylord Hauser. « Match c’est la vie telle qu’elle est », disait Roger Thérond pour expliquer le melting-pot dont il parlait encore comme une façon de « structurer le chaos ». Mais au milieu des écrits sérieux, Bardot adolescente déjà s’imposait. Elle donnait le ton, jusqu’à devenir très vite et naturellement une des plus grandes stars du journal, ainsi que la femme la plus belle du monde. Bientôt, c’est le très sérieux Raymond Cartier qui signera un long reportage au cœur de l’Amérique sur l’effet gigantesque de la sortie du film de Vadim, « Et Dieu créa la femme ». Des pasteurs presbytériens allaient, écrivait Cartier, jusqu’à cadenasser les entrées des cinémas pour empêcher leurs ouailles d’aller reluquer les fesses de BB. De décoration, Brigitte était devenue un sujet de reportage. Elle devint aussi sujet de traque. Le journal raconta en détail tous les amours et chagrins d’amour de sa fiancée. À une époque, elle ne pouvait sortir de chez elle sans qu’un photographe ne l’attende. C’était la rançon de la gloire. Match l’avait faite, ou plutôt, elle avait fait Match. Le journal n’allait pas la lâcher…

Alain Delon étant l’homme le plus beau, Paris Match vécut longtemps de cette alternance de deux perfections à la française que le monde entier nous enviait. Ces personnages n’ont d’ailleurs jamais transigé avec leurs principes. S’ils ont pu choquer en leur temps, connu des errances et des passages à vide, ils refuseront toujours le déclin national, inscrivant leurs combats dans un esprit de résistance. Beauté et panache. Les voilà réunis désormais au paradis et nous, nous sommes bien seuls sur la terre.

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