Un mot d’or sur nos places

Date:

Il s’est produit la semaine dernière quelque chose qu’on pourrait décrire comme une opération de communication. Objet : la guerre en Ukraine. Objectif : persuader les Français que cette guerre est la leur et qu’on va devoir se préparer à affronter la Russie.

La première salve est venue du nouveau chef d’état-major des armées, le général d’armée Fabien Mandon, lors de son audition devant l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances 2026. L’armée française, a-t-il déclaré, doit être « prête à un choc dans trois, quatre ans » face à la Russie, qui « peut être tentée de poursuivre la guerre sur notre continent ».

Tout le monde l’aura compris. Il faut donc se réarmer. Fabien Mandon, c’est à noter, est un général d’aviation qui fut juste avant son poste actuel chef de l’état-major particulier du président de la République. Soit directement la voix de son maître. Que la « grande muette » soit habituée à la fermer, cela va de soi et surtout chez ses officiers supérieurs. Mais là, c’est plus que ça, avec Emmanuel Macron, il s’agit de transmission de pensée. 

Très vite, le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Pierre Schill, a pris le relais. Cette fois, c’était sur RTL. Et il avait mis la tenue de combat. Si on peut décemment se poser la question du bien-fondé de porter une tenue camouflée pour passer à la radio, son propos n’avait rien à envier à celui de son chef. Avec une mention particulière tout de même dans l’effet de terreur voulu : « Dès ce matin, tout peut basculer », a dit Pierre Schill. Un autre ex-général, Vincent Desportes, prenait aussitôt le relais : « La France doit se réveiller, elle est en danger. » Et si ça ne suffisait pas, l’épisode a bien sûr été suivi par une série d’émissions où des parlementaires sont venus, souvent de tendances politiques différentes, expliquer en redoublant d’arguments que la Russie était l’ennemi, qu’elle nous menaçait. Pire, qu’elle nous infiltrait, pour nous nuire évidemment. Sans parler de certains journalistes, comme la reporter du Figaro Laure Mandeville, qui se fendit d’un tweet relayant les propos du CEMA, commentés comme « importants venant du chef d’état-major des armées ». Ou comme le grand stratège Renaud Pila qui « a regardé la carte » sur son portable et nous explique que « si les Russes attaquent », ils passeront par la Moldavie, après la Hongrie, l’Autriche, la Suisse et ensuite ils arriveront chez nous.

Moscou jugea bon de répliquer dans la soirée à ce concert de peur rouge par la voix diplomatique : « L’ambassade juge nécessaire de rassurer les citoyens français : la Russie n’a jamais eu, et n’a toujours pas, l’intention d’attaquer la France ou quelque autre pays de l’Union européenne, ni aujourd’hui, ni dans trois ou quatre ans, ni à l’avenir ».

Il y a quelques années, je me trouvais dans le petit village breton de Saint-Michel-en-Glomel. En passant dans le village, mon œil a été attiré par le monument aux morts. D’aspect classique, il représentait un poilu ordinaire avec son casque et sa vareuse. Mais ce n’était pas ça qui m’a attiré. Ce sont les 35 noms, je les ai comptés, uniquement pour la guerre 14/18, qui figuraient dessus. Parfois, il y avait plusieurs fois le même nom de famille. Des frères, des cousins, des pères. Or ce village était composé d’un petit bourg, d’une église et d’une dizaine de fermes autour, pas plus. 35 morts, rien que là-bas…

Que la France se réarme, je n’y trouve rien à redire. Je constate au passage que ce sont ceux qui aujourd’hui veulent la réarmer qui, hier, la désarmaient, par 40 ans de baisse constante des budgets militaires, droite ou gauche, pas un pour rattraper l’autre… Mais quand il s’agit d’agiter les peurs, de parler de guerre avec la Russie, je souhaiterais aujourd’hui, sincèrement, que sur ces plateaux télé, dans les ministères, à l’état-major, on se souvienne de ce que fut la saignée de 14, de celle de 45 aussi, de la guerre d’Algérie, avant de trépigner à l’idée d’aller attaquer les Russes. Pour certains, j’en ai vu, avec le sourire aux lèvres.

J’ai passé une partie de ma vie à couvrir les guerres. Je ne les souhaite à personne, jamais. Le premier souci de nos dirigeants devrait être de garantir notre sécurité, mais surtout de tout faire pour préserver la paix.

J’en terminerai par des mots qui ne sont pas de moi, mais de Louis Aragon. Tirés d’un poème sur 14-18 appelé « Tu n’en reviendras pas ». Il parle magnifiquement des paysans, des soldats partis sur le front, et hélas de la suite et de la fin : les monuments aux morts.

En voici quelques vers :  

Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées
Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit
Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri

Inscription Newsletter

Derniers articles

spot_img
Omerta

GRATUIT
VOIR